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MS Völkerfreundschaft d’Ulrike Knorr

Publié le 01/02/2006 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

MS Völkerfreundschaft, d’ Ulrike Knorr 

Croisière imaginaire
Jusqu’en 1985, le « Völkerfreundschaft », un paquebot de plaisance est-allemand a emmené en croisière, de RDA en URSS, des ouvriers méritants, des syndicalistes militants et des privilégiés du régime. Univers clos naviguant sur des mers étrangères, cette « Amitié des peuples » reproduisait en son sein, les contradictions et les aspirations d’un mode de vie en pleine transformation.

Véritable lieu hors du temps, il voyait se confronter en d’étonnants contrastes, vies quotidiennes, rêves d’ailleurs et devenait historique. Car ces voyages faisaient se côtoyer des goûts de luxe mâtinés de farniente, une certaine idée de liberté propre aux évasions au long cours et des impératifs idéologiques radicalement étrangers à ce genre de situation.

Ulrike Knorr a décidé, dans son nouveau documentaire, de nous raconter l’aventure de ces croisières. Pour se faire, elle filme un voyage imaginaire, se déroulant de nos jours sur un bateau de croisière, et au cours duquel, elle invite à bord souvenirs et témoignages évoquant l’époque du « Völkerfreundschaft », mêlant temps et récits singuliers en un chassé-croisé fait de poésie pointilliste et de nostalgie.

Elle construit son film à partir d’une dérive temporelle mélangeant des vues des passagers du navire d’aujourd’hui et des extraits de films d’amateurs tournés lors de ces croisières. Ainsi, comme enchâssé dans un présent qui fait sens, surgit un passé déjà lointain et qui nous parle avec un charme naïf d’une époque révolue.

Rythmées par de splendides plans de mer dégageant un sentiment d’immensité qui touche à l’éternité, ces images de repas dans des salons luxueux, de séances de bronzage décontractées, de jeux de pont se terminant en fêtes bon enfant prennent une dimension historique où ce qui se devine et se comprend relève du hors champ et du non-dit. C’est par touches impressionnistes qu’ Ulrike Knorr nous conduit, comme sans y toucher, à penser les limites et les tensions d’une époque, sa charge émotive comme ses contradictions.

Des fragments de journaux de bord tenus par les employés du bateau et lus en voix off viennent éclairer ces scènes de vacances. Et ici encore le récit de circonstance, l’anecdote sans prétention l’emportent sur l’analyse ou le commentaire critiques. Jusque dans ses interviews de quelques participants ou de certains marins, Ulrike Knorr privilégie la relation personnelle, empruntant le chemin du souvenir, laissant ainsi au spectateur un espace libre pour son propre récit.

Et c’est peut-être ici que son film ne va pas jusqu’au bout de sa proposition, et ne trouve pas totalement la justesse qui organise souvenirs et œuvre de mémoire. L’équilibre difficile entre la dimension anecdotique des souvenirs et cette tension à l’universel que met en branle la mémoire cinématographique, demande une rigueur de construction que la disparité des matériaux employés a tendance à brouiller.

Cela dit le travail d’ Ulrike Knorr a ces qualités de regard et d’écriture qui font les vrais cinéastes. Et si la croisière qu’elle nous propose atteint de justesse les rives pressenties, les aléas du voyage nous restent comme autant de moments vrais qui fondent une émotion et nous emportent.