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Nuestras Madres, de César Diaz

Publié le 27/05/2019 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Celles qui restent

Pour la deuxième année consécutive, après Girl l’an passé, une production belge quitte la Croisette avec la fameuse Caméra d’or, le prix qui récompense à Cannes, toutes sections confondues, un premier long-métrage. Produit par Need Production et sélectionné à La Semaine de la Critique, Nuestras Madres a aussi reçu le prix SACD et le Rail d’Or, prix des cheminots cinéphiles. Mais si César Diaz signe son premier long-métrage de fiction, le réalisateur né au Guatemala, est monteur depuis de nombreuses années et ses courts-métrages documentaires lui ont déjà valu quelques prix prestigieux. D’une grande finesse, ce premier film s’empare de l’histoire collective de tout un peuple à travers le destin individuel d’un jeune homme avec beaucoup de sensibilité.


Dans ce qui ressemble à une morgue, un homme assemble les morceaux d’un corps humain. C’est la première scène du film et ce sera son credo : déterrer les morts. Ernesto nettoie, aligne et recompose ce puzzle humain. Ses gestes sont précis, délicats. Il ne faut pas plus abîmer ce qui reste de ces victimes déjà tant maltraitées. Son travail consiste à retrouver des ossements, à les identifier puis à les rendre à leur famille. Ce long et lent travail de deuil s’inscrit dans une histoire collective qui a vu la dictature s’installer au Guatemala avec son lot de massacres, de prisonniers politiques et ses fosses communes. Ce travail semble ne pas avoir de fin, les familles sans cesse affluent, les découvertes macabres s’enchaînent. Et le moment est crucial puisque les criminels vont passer en procès.

Nuestras Madres avance à travers le parcours de cet enfant de la guerre. Fils d’une ancienne résistante politique qui ne veut pas aller témoigner, son père, chef guérillero, a disparu sans laisser de trace. Chaque nouvelle découverte d’un charnier lui donne l’espoir de retrouver sa trace. Plongé sans cesse dans ce passé tourmenté, Ernesto vit parmi les morts qu’il découvre et dont il prend soin. Il habite ces deuils qu’il accompagne. Il est obsédé par la disparition de son père. Pour lui comme pour sa génération, comme pour tout un pays, revenir à la vie passera par déterrer non seulement les corps mais aussi les secrets.

Histoire d’une naissance individuelle et d’une libération collective, Nuestras Madres tisse sa trame autour de nombreuses figures féminines qui guident le jeune homme dans sa quête. Il y a sa mère, pivot du récit, et ses camarades de lutte. Mais il y a surtout cette vieille paysanne par qui tout arrive, celle qui l’entraîne dans la montagne pour déterrer ce qui reste des hommes du village. Et ses compagnes, que la caméra viendra dans une séquence bouleversante, fixer l’une après l’autre, en des portraits dignes et émouvants. Toutes ces femmes sont la mémoire vivante de cette guerre. Toutes portent leur morts, qu’elles doivent ramener à la lumière pour pouvoir continuer à vivre. Têtues et pudiques, elles font face à leur histoire.
En évitant de longues contextualisations historiques, sans trop dater son film dans une actualité immédiatement reconnaissable, César Diaz le construit un peu flottant, au-delà des particularités du Guatemala et lui donne des accents universels. Ce passé traumatisant est celui de son pays mais pourrait être celui de nombreux pays d’Amérique latine et de bien d’autres encore dont l’histoire s’est construite sur des prises de pouvoir autoritaires, des guerres civiles violentes, des massacres de masse. Privilégiant les plans fixes, les cadrages larges, son film avance avec calme et douceur, flirtant souvent avec le documentaire dans un désir d’hommage poignant. En filmant avec attention les gestes, les visages, les corps silencieux, les témoignages vibrants, il se pose lui aussi comme le réceptacle de toute cette histoire qu’il accueille en lui-même. Et il évite les écueils du drame larmoyant et de l’horreur glauque avec une grande délicatesse pour tisser un récit universel de deuil collectif et de renaissance individuelle.

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