Après un premier long-métrage documentaire consacré à l’œuvre du compositeur belge Albert Huybrechts (S’Enfuir, sorti en 2014), Joachim Thôme poursuit ses recherches axées sur le patrimoine musical belge, en proposant cette année un récit très étoffé de la vie mouvementée du compositeur de renommée internationale pendant la Renaissance : Roland de Lassus, également connu sous le nom d’Orlando di Lasso. Joachim Thôme est allé questionner des musicologues du monde entier pour confronter l’immense talent et la grande renommée du compositeur avec le mode de vie qu’il a connu, marquée par la subordination à l’autorité d’un duc ou d’un roi et par la frustration artistique. Il nous offre également, par séquences récurrentes, l’interprétation très séduisante du répertoire de Lasso par l’ensemble musical français La Tempête.
Orlando, Joachim Thôme, 2024
Ayant consacré sa vie entière à la musique et voyageant d’Italie aux Pays-Bas, en France et en Allemagne, Roland de Lassus a travaillé dès son plus jeune âge en tant que maître de chapelle et musicien de cour (il fut arraché à sa famille par un représentant Charles Quint en raison de sa belle voix), composant plus de deux mille œuvres dans les registres profane et sacré, dans pas moins de quatre langues différentes. Il a tout d’abord attiré les égards du roi de France, Charles IX, et a ensuite acquis la confiance et la protection du duc Albert V de Bavière, puis de son fils et successeur Guillaume. Il est présenté comme un homme qui a su flairer les opportunités là où on ne les attendait pas forcément, notamment à Munich, ville relativement obscure au milieu du XVIe siècle et éloignée des hautes considérations artistiques en provenance d’Italie ou de France. C’est pourtant là qu’il a réussi à s’établir pendant plusieurs décennies, aux côtés de sa famille, faisant imprimer son œuvre de façon massive, comme aucun artiste ne l’avait fait jusqu’alors.
Roland de Lassus est également présenté comme un grand innovateur, pas seulement dans la forme de ses compositions, mais également dans sa conscience “moderne” du statut de musicien-compositeur. Il a ainsi lutté pour protéger ses œuvres en obtenant, grâce à son précieux entourage, des droits de propriété sur celles-ci. Son habileté à construire les bons réseaux de mécénat et à les utiliser stratégiquement lui aura permis de s’attirer des privilèges. D’un autre côté, c’est dans ces mêmes circonstances que le duc Albert profite de son statut et de son talent pour revendiquer son propre prestige. Un manuscrit d’une valeur inestimable fût alors réalisé, contenant les plus belles pièces de Lasso, ornées d’illustrations grandioses : Les Psaumes de pénitences, que le duc interdit à l’impression et à l’interprétation en-dehors de sa cour.
En partant d’une forme documentaire sobre et épurée, Joachim Thôme réussit parfaitement à resituer ce personnage atypique et brillant que fut Lasso. Cette conversation entre différent·es musicologues permet de démontrer que Lasso fut éternellement victime de sa condition – et donc victime de son talent –, contraint de créer massivement et de respecter les directives du duc. Ce sacrifice lui a permis en revanche de vivre dignement et de fonder une famille à l’abri du besoin.
Différents types de séquences se succèdent dans un montage minutieux, autant que peut l’être le traitement du mixage, qui prend ici un sens déterminant. On devine par ailleurs un énorme travail de recherches, qui permet l’intégration de pièces d’archives et de partitions manuscrites qui s’intègrent parfaitement à la narration. Résonne ainsi, à travers cet ensemble narratif et musical harmonieux, jusqu’aux plus subtiles intentions, l’expression sincère d’un hommage respectueux.