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Out of the Picture, de An. Ash Smolar

Publié le 19/09/2025 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Mises à l’écart, hors du cadre, voire carrément effacées. Dans le milieu de l’architecture peut-être encore plus qu’ailleurs, les femmes ont depuis longtemps été écartées des livres d’histoire, des prix et des reconnaissances internationales qui ont été celles des hommes. Alors même que, dans de nombreux cas, les créations de ces soi-disant grandes figures de l’architecture moderne travaillaient en duo avec des collaboratrices tout aussi (voire plus) talentueuses.

Aujourd’hui, le documentaire d’An. Ash Smolar leur rend hommage. À celles du passé, mais aussi celles du présent, et – on ne peut que le souhaiter – celles du futur.

Out of the Picture, de An. Ash Smolar

Peut-on encore s’étonner de cette capacité à pousser les femmes hors du cadre, dans notre société infusée depuis plusieurs siècles par le patriarcat et le capitalisme? Pourtant, Denise Scott Brown, Eileen Gray, Emily Warren Roebling, Julia Morgan ou encore la Belge Simone Guillissen-Hoa ont, chacune à leur manière, eu un impact majeur sur la structuration de nos habitats durant les deux derniers siècles.

Du Brooklyn Bridge au palais fantastique du magnat William Randolph Hearst, en passant l’architecture de nombreux bâtiments iconiques et de nombreuses maisons et structures d’habitation plus innovantes les unes que les autres, elles ont façonné une vision du monde avec leurs regards singuliers ou donné vie à des idées qui n’étaient jusqu’alors qu’esquisses.

Accompagnée par la voix posée de Virginie Hocq et par la beauté d’une animation signée Caroline Nugues-Bourchat, Sarah Debove et de la documentariste elle-même depuis un an assistante en animation à l’ERG, Out of the Picture raconte cette histoire avec force exemples, donnant vie et énergie à ces structures faussement inertes.

En mettant les mots sur les tribulations subies par ces créatrices, les différentes intervenantes (Arielle Assouline-Lichten, Elizabeth Diller, Beatriz Colomina, Odile Decq, Cynthia Phifer Kracauer, Stéphanie Dadour, Apolline Vranken, Tania Concko, Olivia Chaumont, Katherine Fiumani, Blanca Valdivia Gutierrez, Roser Casanovas et Anna Chavepayre, il nous semblait important de toutes les nommer) dressent un portrait encore peu glorieux d’une profession où être un architecte porte votre nom sur les grands chantiers, là où être une architecte vous relègue souvent aux intérieurs et aux lieux du care. “L’architecture est un art capitaliste, et donc pas un art de femmes”, assène avec pragmatisme l’une d’elles.

Dénigrées, écartées, voire carrément oppressées et dominées, comme le fit Le Corbusier avec Eileen Gray lorsqu’il se permit – dans une querelle notoire du milieu – de peindre ses propres fresques dans la maison dessinée par Gray, qu’il occupait à titre gracieux. Des pratiques nauséabondes qui n’ont pas encore disparu, et une reconnaissance qui est un gage de la société de demain.

Et si les femmes n’avaient pas été exclues de cette sphère? Si les lieux de vie qui sont ceux de notre humanité avaient été élaborés par d’autres visions, seraient-ils si différents? Dans les projets que l’on peut découvrir au travers de ce film, de la Maladrerie signée Renée Gailhoustet à la High Line de New York, cosignée par Elizabeth Diller, ces projets laissent entrevoir une autre vision du monde. Une vision où l’humain et le vivant cohabitent dans des structures pensées par et pour la collectivité.

Dans un monde où l’on tente sans cesse de diviser pour mieux régner, (re)construire ensemble est aujourd’hui plus nécessaire que jamais. Et au travers des visions de toutes les architectes citées ici, il est peut-être encore possible d’envisager ces lendemains.

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