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Petites histoires du monde avant d'aller dormir de Maxime Coton

Publié le 15/01/2016 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

Maxime Coton accouche de son dernier court-métrage au moment précis où sa compagne, à l'hôpital, vient de mettre au monde leur premier enfant : Elsa.
Installé dans son jardin la nuit où le bébé passe du dedans au dehors, du hors champ au cadre, le père-cinéaste révèle son projet : montrer le monde qu'il lègue à sa fille, ses beautés, sa fulgurance et surtout, peut-être, ses horreurs. Car par les thèmes abordés, Petites histoires du monde avant d'aller dormir n'a aucunement la niaiserie du film d'un papa à sa fifille que l'on aurait pu redouter.

Petites histoires du monde avant d'aller dormir  de Maxime Coton

Le chemin qu'emprunte Maxime Coton pour dévoiler le monde à sa fille âgée de quelques heures, ne sera ni linéaire, ni régulier... Il ne ressemblera en rien à la route en brique jaune du magique pays d'Oz, car il ne s'agit nullement de partir vers le conte de fées ou la fable initiatique, mais de dire un peu ce qu'est une image et comment l'image sert à dire le monde. Celles qu’il propose sont essentiellement puisées dans une banque d’images libres de droits. La naissance d'Elsa donc, n'est pour lui qu'un prétexte poético-philosophique pour mettre en place des parallèles, pour bâtir des ponts pour nous, spectateurs, avec des images qu'il va glaner... Procédé cinématographique proche de la lettre ouverte souvent emprunté par des cinéastes (de Marker à Cavalier, de Kramer à Akerman) qui tous ont sans doute pour point commun de croire à la puissance d'action de l'image cinématographique.
Ce monde qui est le nôtre, Maxime Coton propose de le conter en 5 histoires, correspondant en autant de chapitres. Des histoires avant de s'endormir ? On en doute un peu... à moins de vouloir peupler ses nuits de cauchemars.
Le premier chapitre intitulé « La rencontre » revient sur l'amour de la Reine de Saba pour le roi Salomon. La reine de Saba, c'est le monde des sentiments et des sensations, le monde du cœur face à Salomon, qui incarne raison et savoir. Pour se faire, Maxime Coton emprunte des images trouvées, des cartes du monde, des films des années 50, des publicités, et raconte, en voix off, sa version de l’histoire et les questions qu'elle engendre. De ce récit légendaire et mythique, il ne tire aucune conclusion, - et ne le fera d’ailleurs pour aucun autre - mais ouvre des pistes, laisse les questions ouvertes qui viennent ouvrir le deuxième chapitre intitulé « La passion ». Ce deuxième volet a pour « héros » Polyeucte de Mélitène qui vécut en l'an 250 et s'en prit violemment aux idoles en détruisant images et statues pour servir le seul et unique Jésus-Christ. Une occasion pour Maxime Coton de montrer les images ultra violentes des destructeurs du musée de Mossoul, en Irak, en 2015 : statues de l'époque hellénistique jetées à terre, brisées, bas-reliefs mis en miette au marteau-piqueur. Face à cet innommable vandalisme, le jeune cinéaste propose une lecture manichéenne, opposant faiseur d'images contre destructeur d'images oubliant au passage que c'est bien au contraire pour faire image, et qui plus est image de propagande ultra efficace, que les djihadistes s'attaquent aux œuvres d'art. Cette étrange opposition qui va à  l’encontre de son projet, limite elle-même la puissance de l’image. Oublierait-il aussi la nécessaire destruction, au sens nietzschéen du terme, qui permet de construire ou de réinventer ?

Ces images brutales laissent place à celles, merveilleuses, du périple du navigateur Ernest Shackleton qui inaugure le chapitre 3 intitulé « L’attente ». Cet épisode d'un équipage prisonnier des glaces profondes de l'océan austral filmé en 1915 et placé au milieu du film, agit comme une respiration. Une aventure périlleuse qui trouvera en effet une issue favorable puisque Shackleton et son équipage retourneront tous chez eux sains et saufs. Une occasion pour s'attarder un instant sur les beautés du monde, faire une pause nécessaire, avant d'affronter le chapitre 4 (« La Naissance ») et les images insoutenables des conséquences sur le corps de Japonaises du lancement de la bombe sur Hiroshima que l’armée américaine a filmé en couleur. Se pose alors la question de l'inmontrable, du tabou, de l'indicible qui vient sans cesse comme alimenter la matière de Petites histoires... Et le dernier moment choisi par Maxime Coton, la vie d'Elliott Rodgers, fils d'un réalisateur hollywoodien et auteur d'une fusillade près de Santa Barbara propose une étrange boucle… Que transmet-on à ses enfants ? D’où vient la monstruosité ? La porte t-on tous en nous ? Et à cet endroit précisément, le film s’éclaire ou plutôt s’assombrit, comme si le cinéaste, à peine père, visitait l'angoisse de rater sa relation, voire celle d’être capable d'engendrer le mal. Car finalement, c'est bien un peu ce qu'explore sans cesse le film, les figures de la monstruosité, figures qui incitent, à différentes mesures, à s’interroger sur la norme, et qui provoquent inévitablement une pensée de l’altérité. Car penser le monstre, c’est aussi, d’une certaine manière, se penser soi. Et c’est sans doute ce que l'on pourrait reprocher au projet de Maxime Coton, de ne pas se risquer à filmer le monde, de rester trop en distance, trop passif, laissant les images des autres construire son regard. Quelques fragments du visage de l'être aimée, quelques secondes du visage d'Elsa, des presque rien.
Néanmoins, ce poème en déplacement qui se construit à plusieurs niveaux dans l’agrégation d’images hétérogènes, ce collage en cinq mouvements a le mérite de nous provoquer et nous inciter à ouvrir grands les yeux, à poser notre regard au-delà des apparences pour explorer les territoires où l'on va rarement, où l’on a rarement envie de se risquer. 

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