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Après l'usine de Maxime Coton

Publié le 01/10/2020 par Serge Meurant / Catégorie: Critique

Dans son premier film, Le Geste ordinaire, Maxime Coton traçait un beau portrait de son père ouvrier. C'était en 2011. Il questionnait, à travers celui-ci, ce qui lui paraissait être le langage dans la culture ouvrière. Le silence qui avait séparé le père et le fils, avant de réaliser le film, donnait également lieu à une interrogation plus fondamentale sur la parole et en particulier la parole poétique : un livre de poèmes en naquit portant le même titre. (1)

Huit ans plus tard, pour un second film, Maxime Coton est amené à reprendre les images de son père filmées dans l'atelier où il exerçait depuis 1979 le métier d'ajusteur mécanicien. Mais aujourd'hui, ce ne sont plus là que souvenirs. Marc, le père du cinéaste, a été jeté dehors, mis à la prépension. Et ce licenciement a constitué une coupure profonde avec le monde de l'usine et de ses anciens camarades.

Après l'usine de Maxime Coton

Les débuts et la maîtrise

Marc se rappelle ce premier jour de travail où il s'était dit qu'il ne remettrait plus jamais les pieds dans l'atelier. « C'était tellement glauque, les bruits, l'odeur, les machines gigantesques ». Il était alors adolescent et surmonta ce sentiment pénible. Par la suite, on le voit dans Le Geste ordinaire, il devint maître de ce lieu. Sa démarche, vive et déterminée, la précision de ses gestes et son expertise, nous l'avaient montré dans la beauté virile d'un accomplissement. Il avait construit sa vie d'homme, fondé une famille, et partagé les luttes de ses camarades. 

 

Après l'usine de Maxime Coton

Le déclin de l'industrie métallurgique

L'histoire des usines Boël est celle d'un déclin, de reprises où les patrons successifs, anonymes, se sont coupés de toute concertation avec les ouvriers. Jusqu'à la fermeture de ces usines et le licenciement des travailleurs.Dans une exposition consacrée à la famille Boël sont notamment exposés des outils. « Nous avions l'impression que ces outils nous appartenaient.C'était comme nos bras, même les machines à la limite. Avec nos collègues, on se disait, ça fait partie de nous. C'est un outil qu'on a façonné ensemble. ». Marc vole une grande clé anglaise qu'il emporte sur le porte bagage de son vélo et ira enterrer sur un terril.

Comment, dans cette situation, ne pas entrer en dépression profonde, ne pas nourrir solitude et rage devant l'injustice de la situation ? Au bureau de l'emploi où il se présente, Marc se voit interrogé sur les raisons pour lesquelles il n'a pas cherché d'autre emploi, alors qu'il est jeune encore, après sa mise à la préretraite. « Il faut quitter le deuil... », lui dit alors l'employé.

Mais le sentiment profond de Marc réside dans ce constat : « Nous ne sommes plus ouvriers, mais nous sommes toujours ouvriers.» 

 

Après l'usine de Maxime Coton

Le vélo

La passion du cyclisme a toujours animé les loisirs de Marc, mais elle lui permet aujourd'hui de s'évader, elle lui ouvre de nouveaux territoires, le libère et cette sensation de vitesse irrigue ses poumons. Sa course est soutenue par le rythme d'une petite fanfare de village, qui accompagne tout le film. L'espace s'élargit davantage encore et nous voici menés en haut du village d'où l'on contemple le paysage ruiné des usines métallurgiques.La nostalgie nous saisit presque d'un monde en voie de disparition. La clé volée a été enterrée comme un trésor de guerre. Qui la trouvera, reconstituera peut-être un épisode de l'histoire ouvrière, de ses défaites. 

Me revient en mémoire l'idée énoncée par un ancien mineur dans le film de Paul Meyer Le Miroir aux alouettes : « Si les ouvriers avaient de la mémoire, leur mémoire, il n'y aurait plus de pauvres ». 

Le film se referme sur un dernier plan d'ensemble de l'atelier, l'espace d'un souvenir qui s'éteint. 


(1) Le geste ordinaire, poèmes de Maxime Coton, Esperluète Editions, 2011

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