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Pico Berkowitch, coach d'acteurs

Publié le 23/02/2021 par David Hainaut / Catégorie: Métiers du cinéma

Coacher pour réussir

De plus en plus souvent mentionné par les comédiens, le métier de coach d'acteurs, s'il reste encore marginal chez nous, est celui qu'exerce Pico Berkowitch depuis 1991. De retour en Belgique après avoir longtemps fait valoir son expérience à l'étranger, de la France aux Etats-Unis - où cet instructeur bruxellois a même assisté Bobbi Lewis, fondateur du célèbre Actor's Studio - ce diplômé de l'Insas au parcours atypique a récemment collaboré avec Arieh Worthalter, Fabrizio Rongione, Myriem Akheddiou et Pierre Nisse, qui sera en mars l'un des principaux acteurs de la série Baraki.

Pico Berkowitch, coach

 

Cinergie : Le phénomène est plutôt récent chez nous, certains.nes comédien.nes disent préparer leur rôle avec un coach, lors de leurs interventions publiques. Dont vous, en l'occurrence...
Pico Berkowitch : C'est vrai. En fait, pas mal d'acteurs belges, souvent par admiration pour les comédiens américains qui restent des modèles pour beaucoup, ont déjà entendu parler de l'existence et de l'importance du métier de coach. Pour certains, en employer un est devenu quelque chose de naturel. En ce moment, je travaille entre autres avec Myriem Akheddiou (Deux jours une nuit, Invisible) qui tourne pour l'instant sur la série Pandore, un type de rôle qui nécessite de longs mois de travail. Il y a peu, elle me confiait être un peu lassée des conversations qu'elle avait avec d'autres acteurs, devant encore se justifier de l'emploi d'un coach. Pas mal de gens restent encore méfiants, n'y croient pas ou se demandent bien à quoi ça sert...

 

C. : Cela dit, les mentalités autour de votre métier semblent évoluer, non ?
P.B. : Oui, il y a une évolution. Néanmoins, je ne prétends pas qu'un coach soit utile pour tous les comédiens. La différence avec un coach sportif, qui a une figure d'autorité, qui sait comment s'entraîner et quelles sont les éventuelles tactiques pour gagner, c'est qu'un coach d'acteurs doit se glisser dans la personnalité de la personne qu'il a en face. C'est un travail psychologique et d'accompagnement qui ne change pas la personne. Un psychologue fait de la thérapie en espérant que son patient puisse se dégager de certains soucis. Moi, j'essaie que les comédiens tirent profit de tout ce qui les constitue, qu'il s'agisse des aspects les plus généreux ou les plus égocentrés de leur personnalité. On met tout ça au service du job et du personnage. Cela dit, je continue à trouver curieux ce terme de coach (sourire)...

 

C. : ...dont vous vous revendiquez pourtant !
P.B. : Parce que je n'ai pas encore trouvé d'autres solutions (rire). En fait, j'ai entendu parler du terme aux États-Unis, où j'ai passé pas mal de temps. Là-bas, c'est une fonction quasi-ordinaire pour les acteurs. C'est leur référence, ils aiment préparer leurs rôles, comme on dit. Parfois, il y a même des acteurs de renom qui ont même assez de pouvoir pour amener leur coach sur un plateau. Ici, si un coach débarque sur un tournage, c'est un peu E.T qui arrive ! Enfin, si je me suis déjà rendu sur quelques tournages, il faut bien se dire que les 3/4 du boulot se font en amont !

 

C. : Ce n'est donc qu'en vous rendant aux États-Unis que vous avez pris connaissance de ce métier particulier, voire inconnu chez nous jusqu'à il n'y a pas si longtemps ?
P.B. : Oui ! Quand j'étais réalisateur ou assistant-réalisateur, absolument personne ne m'a aidé à comprendre ces étranges personnes que sont les acteurs.trices, ainsi que leur psychologie. Moi, j'étais toujours paumé avec eux.elles. Je les voyais comme des enquiquineurs.euses dont on ne savait jamais trop ce qu'ils.elles voulaient, avec leurs humeurs et leurs hystéries. J'avais tous les préjugés que j'entends encore parfois. Or, je me disais que ces gens devaient avoir un truc à part. Et c'est en effet en me rendant dans un atelier  américain, où j'ai véritablement découvert les techniques, que j'ai eu le déclic. C'est là que j'ai compris qu'il ne suffisait pas d'avoir une belle gueule, s'amener sur un plateau et dire des phrases correctement. Ce que des gens croient encore, d'ailleurs...

 

Pico Berkowitch, coach

 

C. : Certains restent plus doués que d'autres, aussi...
P.B. : Absolument. Et je suis le premier à reconnaître qu'il ne faut pas forcément faire des écoles de théâtre ou d'acteur pour être bon. Gérard Depardieu n'a jamais pris le moindre cours ! (rire) Mais bon, ça reste un comédien de légende exceptionnel. Mais ce dont je suis tombé amoureux aux USA, c'est de voir qu'il existe véritablement un savoir-faire (gestes, outils, méthodes...), qui est de l'ordre de l'artisanat. C'est justement cela qu'il faut séparer complètement des qualités naturelles ou de la psychologie. Et pour moi, qui ai bossé aussi en Suisse ou en France, je remarque que cet artisanat-là manque de reconnaissance dans les pays francophones. Ici, il y a soit de l'incompréhension soit une réaction de rejet. Or, il n'y a pas d'âge ou de moment pour qu'un.e comédien.nne arrête d'apprendre. Et on ne parle presque jamais de cet espèce d'apprentissage permanent, de cette démarche créative. Comme Binoche a dit, "Mais pourquoi croyez-vous qu'un jour, un acteur arrêterait d'apprendre ?"...

 

C. : Vous-même, qu'est-ce que vous apprenez encore, à l'heure actuelle ?
P.B. : Je n'arrête pas de me remettre en question. Ceux et celles qui suivent mes ateliers depuis longtemps connaissent mes hésitations et mes recherches, parce que j'essaie de trouver vraiment ce qui peut ouvrir le maximum de créativité. Je ne l'ai toujours pas trouvé, mais je commence quand même à accumuler les expériences, à sentir ce qui marche. Simplement parce que je l'ai expérimenté. Et je pars du principe que si ça marche sur moi, ça devrait fonctionner avec quelqu'un qui a la passion du jeu. Après, il est important de se retrouver face à des passionnés.ées, qui trouvent un plaisir unique au monde à jouer. Sans quoi ça ne vaut pas la peine de faire de la technique. Les comédiens.ennes qui veulent être célèbres et reconnus.es n'ont pas besoin de technique, juste besoin de chance...

 

C. : Pour en revenir à votre parcours, celui-ci indique ou rappelle que vous avez réalisé des films, à une époque...
P.B. : Oui, j'ai réalisé plusieurs courts-métrages, ayant même eu mon premier film projeté au début du FIFF de Namur, tout en ayant été réalisateur de documentaire (dont un sur les cowboys et indiens, La Bonne Étoile de Texas City, qui a plutôt bien marché), mais aussi premier assistant réalisateur sur des longs-métrages, comme Le fils d'Amr est mort de Jean-Jacques Andrien en 1975, avec Pierre Clémenti, ou La Fuite en avant, de Christian Zerbib qu'on a tourné à Liège, avec le plus gros budget de l'époque du cinéma belge francophone. Il y avait Bernard Blier et Michel Bouquet. Mais le film a fait faillite à trois jours de la fin, avant d'être racheté bien plus tard. Après ça, j'en ai eu un peu marre du cinéma belge, et j'ai saisi l'opportunité unique de travailler pour l'UNESCO, pour aller enseigner et participer à la fondation d'un centre de formation de techniciens de télévision dans une trentaine de pays d'Asie du Sud. Pour un Bruxellois casanier comme moi, la trajectoire a été surprenante...

C. : Et comment, finalement, vous êtes-vous retrouvé de l'autre côté de l'Atlantique ?
P.B. : En cherchant un complément d'informations et de connaissances sur certains aspects du cinéma que je n'avais pas eu à l'INSAS, notamment dans l'aspect écriture et acting. Car à une époque, c'était profondément négligé. Depuis, il y a eu un changement culturel qui a fait que l'enseignement du scénario est considéré comme une nécessité technique, et pas juste comme une illusion américaine. Pour la petite histoire, j'effectuais un stage d'écriture, mais il ne correspondait pas à mes attentes. Comme je me suis retrouvé à côtoyer des acteurs.trices qui suivaient des cours, je les ai suivis.es. Et c'est précisément comme ça que j'ai eu le coup de foudre pour ce métier.

 

Pico Berkowitch, coach

C. : La suite, pour vous ?

P.B. : Continuer à donner aux comédiens.ennes cette envie irrésistible de jouer une scène comme on l'a conçue ensemble. Car quand une préparation est aboutie, l'acteur.trice a envie que le tournage ait lieu dans l'heure qui vient, tellement il est impatient de pouvoir l'essayer. Un coach m'a un jour dit: "Quand un acteur est préparé, il se passe la même chose que pour un phénomène d'addiction: il a envie qu'on le shoote!" Et bien ça, c'est le coaching idéal. Puis, la suite serait de continuer des stages, que je fais virtuellement (par Zoom) pour le moment, mais ça marche très bien, aussi pour aider des comédiens.diennes à bien préparer des castings. Et puis, même si le temps passe, il me reste quelques ambitions de réalisation, et je collabore au scénario du troisième long-métrage de Philippe de Pierpont. J'ai aussi un projet de long-métrage, mais que je proposerais bien en série, ayant vu de près comment celles-ci se fabriquaient...

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