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Rencontre avec Christophe Evrard, monteur

Publié le 10/11/2020 par David Hainaut et Constance Pasquier / Catégorie: Métiers du cinéma

"Nous, monteurs.ses, sommes des espèces de discrètes sages-femmes"

En ces temps où les tournages se font plus rares, où les sorties de films se reportent et où de nombreux festivals s'annulent, les montages eux, ne connaissent pas vraiment de perturbations.

Illustration avec l'un de ces "éternels confinés", Christophe Evrard, un monteur qui, entre la finalisation d'un futur long-métrage (Totem de Fred De Loof) et son implication dans une série (Baraki), fourmille de projets.

Rencontre avec ce diplômé de l'IAD dans les bureaux de Free Son, un studio situé à Uccle. Ce Namurois de 33 ans jouit d'une expérience de près d'une décennie, du court au long-métrage, en passant par les séries (dont La Trêve) et les documentaires.

Cinergie : En ce moment donc, vous montez la série Baraki alors qu'elle est toujours en tournage. Cela s'était déjà passé comme ça sur La Trêve?

Christophe Evrard : Oui, parce que cette manière de faire cadre bien avec le rythme de tournage d'une série, qui reste toujours soutenu. Et c'est pratique de monter au moment où un projet se fabrique, car on peut alors donner les retours artistiques (mise en scène, jeu, cadre...) aux réalisateurs jour après jour. Puis, tant sur Baraki que sur La Trêve, un important travail préalable a été fait sur les musiques, qui nous sert bien. Je ne fais en fait que reproduire la méthode appliquée sur La Trêve, avec Damien Keyeux et Matyas Veress. Cette fois, je me retrouve avec Marc Decoster, qui a notamment travaillé sur les séries Unité 42 et Invisible, Matthieu Jamet (la série Champion) et Romain Waterlot, qui débute. Ces séries permettent de croiser plusieurs monteurs et j'aime ça, car il y a une belle osmose d'idées.

 

C. : Pour vous tous, confinement ou pas, c'est toujours un peu pareil, finalement...

C.E. : (Sourire) C'est vrai qu'un monteur, c'est toujours quelqu'un devant un écran ou une TV, qui regarde des images à longueur de journée. Notez qu'au moment du lock-down du printemps, j'ai expérimenté le travail à distance avec un réalisateur, Xavier Seron, pour son court-métrage Sprötch (NDLR: l'un des 4 films de La Belge Collection), et ça s'est bien mis en place, même si on a passé énormément de temps au téléphone et à s'envoyer des (gros) fichiers par internet. Ici, pour Baraki, même si ce tournage doit parfois faire face à des mesures sanitaires qui ralentissent le processus, on peut continuer à faire notre boulot, qui reste de pré-monter les épisodes et d'essayer de livrer les choses en temps et en heure. Vu le contexte, je n'ai pas trop à me plaindre, je suis bien occupé...

 

C. : ...ce qui semble être le cas depuis votre sortie de l'IAD en 2012, non ?

C.E. : C'est vrai, même si les choses se sont quand même accélérées à partir de La Trêve. Comme tout le monde, j'ai démarré timidement. En sortant de l'école, j'ai été scripte pour le JT de la RTBF, un job technique et très différent du montage image. Il reste parfois des a priori sur la télé, considérée comme quelque chose de mineur face à la fiction ou au documentaire, mais ce rôle faisait aussi partie de ma formation de montage-scripte. Avec le temps, j'ai quand même l'impression que ces oppositions disparaissent. En tout cas, le petit écran m'a énormément apporté, tant en expérience qu'en organisation, tout en me permettant de gagner ma vie, pendant que je commençais à travailler pour le cinéma en parallèle, avec des projets plus compliqués financièrement. Comme par exemple le film Parasol de Valéry Rosier, pour lequel j'étais assistant-monteur, qui s'est tourné sur deux ans et demi.

 

C. : En septembre dernier, lors du Festival de Bruxelles (BRIFF), le réalisateur David Leloup (A leak in Paradise, Saint-Nicolas est socialiste) nous confiait que le poste de monteur était pour lui le plus essentiel dans un film...

C.E. : ...un poste surtout flou et méconnu de l'extérieur ! Et c'est tout à fait logique, car quand on est gamin, on pense aux acteurs, aux tournages ou aux caméras, et pas forcément aux métiers plus intimes et plus discrets de la post-production. Mais c'est sûr qu'on contribue à la vision que peut avoir un réalisateur de son film. En fait, on est là pour définir des intentions, tant au niveau du jeu - où vous pouvez totalement transformer la manière d'être d'un comédien - qu'au niveau de l'esthétique voulue par le directeur-photo. Notre travail créatif est aussi de songer à l'espace de narration qu'aura le spectateur, en marge des questions que celui-ci va se poser.

 

C. : Vous parleriez du montage comme "la troisième écriture d'un film", après le scénario et le tournage ?

C.E.: Pour moi, c'est ça. Car c'est pendant le montage qu'on fixe tous les choix définitifs d'un film : qu'il s'agisse des acteurs, de la façon de raconter, de la structure, du style, du ton (...). On peut toujours étoffer certaines choses en montage-son, en étalonnage et en mixage. Mais pour moi, c'est vraiment le montage qui va définir l'identité finale d'un film.

 

Christophe Evrard, monteur

 

C. : On entend parfois qu'un monteur ou une monteuse peut "sauver" un film. Votre avis ?

C.E. : Je confirme, car comme nous sommes des spécialistes pour regarder des images, c'est notre base de nous poser en permanence ces questions : "Qu'est-ce que ces images vous procurent?", "Comment trouvez-vous tel ou tel type de personnage?", "Est-ce que le jeu de cet acteur correspond bien au personnage?", "Est-ce que le rythme fonctionne?" (...). Nous, monteurs et monteuses, on est là pour déceler des petits trésors qui pourraient être cachés ou ne pas être vus par un(e) cinéaste. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles certain(e)s réalisateurs.trices font appel à certain(e)s monteurs.ses. Au-delà, évidemment, de questions de sensibilité commune.

 

C. : Concrètement vous, qu'est-ce qui vous intéresse le plus dans ce travail ?

C.E. : Disons que j'ai - vaguement - tâté de la réalisation, mais j'avais du mal à me mettre en avant par rapport à un projet. C'est d'ailleurs ce que je respecte chez les réalisateurs. Je préfère travailler dans l'ombre, où je dois de toute façon me poser les mêmes questions qu'un(e) cinéaste par rapport à son film. J'ai pas mal d'amis qui travaillent sur les tournages, mais ce n'est pas mon truc. Je trouve que c'est au montage qu'on commence à apporter la magie à la fiction. J'adore commencer à trier la matière dans cette montagne russe que peut constituer n'importe quel projet, et entrer petit à petit dans cette espèce d'illusion que va être le film. Jusqu'ici, chaque projet m'a apporté quelque chose en termes de questionnement. Rien ne se répète. Chaque projet est une nouvelle découverte, une nouvelle relation avec un réalisateur, un nouveau bébé que vous faites naître. Et je trouve ça chouette d'actionner plein de rouages intimes, sans devoir être mis sur le devant d'une scène. Notre boulot, c'est de donner notre amour au film en restant ...comment dire... des espèces de sage-femmes très discrètes (sourire)...

 

C. : Avec l'avènement du numérique, votre métier a changé, ces dernières années. La transition avec l'argentique, vous l'avez vécue ?

C.E. : Il a clairement changé, car il implique de recevoir plus de matière filmée et d'être toujours plus efficace. Moi, en dehors de l'IAD où j'ai encore connu des caméras TV sur bande, j'ai toujours connu le numérique. J'ai travaillé sur les deux saisons de La Trêve, qui ont été tournées avec un appareil photo ! Quantifier la durée d'un montage reste aujourd'hui très compliqué. On peut estimer un nombre de semaines, mais il peut toujours évoluer. Et qui dit parfois plus de matière, dit plus de choix et de questions à se poser, aussi. Moi j'ai toujours eu tendance à rallonger un tout petit peu les temps qui me sont octroyés à la base. Mais toujours pour le bien du film et parce que celui-ci le réclame, et pas dans l'idée de me faire plus d'argent.

 

C. : La Trêve, un projet-charnière qui a labellisé bon nombre de personnes. Dont vous faites partie, finalement...

C.E. : Oui. J'ai bien conscience que c'est le projet qui a pu me faire gravir une petite marche. Ça a été un pivot, qui reste une des plus belles expériences de ma vie. Matthieu Donck a impliqué beaucoup de gens, et c'est sympa de se dire qu'on avance tous au pas, qu'il y a de nouvelles personnes, de nouvelles influences. Quelque chose d'un peu plus moderne, peut-être. Sans pour autant dire qu'une nouvelle génération est là pour chasser l'autre : au contraire, elles doivent selon moi absolument coexister.

 

C. : Vos objectifs personnels, pour la suite ?

C.E. : À part continuer à œuvrer sur de beaux films avec de chouettes réalisateurs.trices, je ne demande rien de plus. J'avoue être content de voir comment les choses s'enchaînent. Je laisse faire les choses, quitte à parfois travailler moins plutôt que de me lancer à contrecœur sur un projet - même énorme - où je ne serais qu'un tampon humain, comme ça m'est arrivé en début de carrière. Je ne me lance jamais par obligation, car si je ne peux pas mettre mon cœur 100% à l'ouvrage, ça ne peut pas fonctionner. Je ne cherche pas à occuper un terrain. Eh bon, on a quand même cette chance de bosser dans un pays où les rapports entre les gens sont quand même confraternels et amicaux. Où tout le monde se connaît, et où on peut bosser avec des gens aussi sérieux qu'adorables humainement...

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