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Pinocchio d’Enzo d’Aló

Publié le 06/03/2013 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

Commedia al dente

Le petit pantin de bois était l’invité d’honneur, très attendu, de la soirée d’ouverture de la 31e édition du festival Anima. Après avoir longuement hésité, Enzo d’Aló, le réalisateur de La Mouette et le Chat, se jette à l’eau en se lançant dans une nouvelle adaptation de Pinocchio, personnage fictif créé par le journaliste et écrivain italien Carlo Collodi dans Les Aventures de Pinocchio. Histoire d'un pantin, publiées en 1881 dans un journal italien pour enfants. 

pinocchiio, scène de l'animationCette nouvelle version s’ajoute donc à une longue liste d’adaptations tant cinématographiques que théâtrales, tant littéraires que télévisées. Sans compter les bandes dessinées, les chansons, les illustrations. Inutile de le présenter. Pinocchio fait partie de notre univers culturel commun. « Ton nez va s’allonger si tu racontes des carabistouilles », « des oreilles d’âne vont te pousser sur la tête si tu ne travailles pas bien à l’école ». Qui n’a pas entendu ces effrayantes paroles au moins une fois dans sa vie ? Heureusement pour nous, personne n’a jamais été victime de ces transformations saugrenues…

Deuxième livre le plus vendu en Italie au XXe siècle, le récit de Pinocchio a toujours séduit petits et grands par son caractère intemporel. C’est comme si ce pantin, aux airs de vil garnement et de fieffé menteur, avait traversé les époques sans s’empoussiérer. Dix ans après son dernier film, Opopomoz, Enzo d’Aló a, lui aussi, voulu insuffler la vie à cette marionnette désobéissante à qui il s’est maintes fois identifié.
Petit flashback. Juste pour le plaisir. Un jour, Geppetto, pauvre menuisier solitaire, perdu dans ses pensées dans sa petite chaumière, est surpris par une bûche qui parle. Sans attendre, il se met à la façonner, à la sculpter, à en faire un petit enfant de bois. Son fils. Il l’appellera Pinocchio. Un garçonnet à la tête dure qui fonce, sans peur. À chaque mensonge, son nez s’allonge. L’école, ce n’est pas vraiment sa tasse de thé. Toutes les occasions sont bonnes pour y renoncer. Vive le farniente indiscipliné et ce, aux dépends de son père adoré. Pinocchio se laisse embobiner, facilement il faut le dire, par toute une série de mauvais bougres comme la finaude renarde et le chat mal rasé avec leur fourberie sans borne. Heureusement, il a aussi ses adjuvants : le sage grillon aux conseils avisés et la douce fée bleue dont il est amoureux. Malgré de nombreuses réprimandes, Pinocchio accompagne Lumignon, un jeune polisson, qui l’emmène au pays des jouets. Là, des oreilles d’âne leur poussent sur la tête. Juste punition. Mais, Pinocchio, désobéissant, est jeté à la mer où il est englouti par un énorme requin dans le ventre duquel il tombe sur son père, Geppetto, parti à sa recherche. Ils s’en sortent miraculeusement. Pinocchio a compris la leçon : il sera désormais un bon petit garçon. Comme par magie, il prend vie.
Conformément à nos souvenirs, la version d’Aló est fort semblable au récit initial. Il est vrai que l’histoire reste sensiblement la même. Cela dit, le réalisateur italien a opté pour un univers personnel qui confère à cette nouvelle version un charme particulier. Le travail de l’illustrateur Lorenzo Mattotti y est pour beaucoup. Les décors du film sont magnifiques. Des gros traits de pastel envahissent l’image. La matière devient presque palpable. Les couleurs sont chatoyantes. Van Gogh et sa Nuit étoilée ne sont pas très loin. On rêve. Du début à la fin.
Le côté brut des décors contraste avec les personnages, aux contours bien définis et animés avec précision. Un petit air de ressemblance avec certains protagonistes du Roi et de l’oiseau de Paul Grimault. On retient le géant Mangefeu qui éternue quand il s’émeut, les deux docteurs à plumes, au chevet de Pinocchio, qui ont volé les répliques des frères Dupond et Dupont, le géant vert monstre des mers, Rex chien flic, brillant acteur.
Sans oublier la musique de Lucio Dalla. Rien à voir avec les chansons à l’eau de rose des Disney. Ici, ça swingue. On passe du jazz au rap ou au pop-rock, mode Rita Mitsouko. Les personnages s’y donnent à cœur joie. L’hétérogénéité des mélodies accentuent le rythme endiablé du film qui va de pair avec le tempérament de feu du jeune héros.
Avec d’Aló, Pinocchio reprend possession de sa terre natale et renoue avec ses origines. L’Italie est là. Dans les décors qui s’apparentent aux paysages toscans, à Florence. Dans la façon de parler de certains personnages qui s’expriment dans leur propre langue, une sorte de dialecte, un mélange de vieux français et d’italien. Dans l’ancienne tradition de la Commedia dell Arte qui hante le film avec l’apparition d’Arlequin et de Polichinelle qui s’adonnent à leurs joyeuses pirouettes. Le pantin de bois appartient, lui-aussi, à cette grande famille de saltimbanques, les vedettes populaires d’antan.
Ce film, présenté en avant-première à la Biennale de Venise l’été dernier, est donc à découvrir. Pour les thèmes intemporels qui y sont abordés. Pour ses décors qui nous plongent dans un univers féérique et onirique. Pour se laisser bercer par l’insouciance de l’enfance. Encore une fois. Avec ce petit pantin de bois. 

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