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Poissonsexe de Olivier Babinet

Publié le 13/09/2020 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

C’est l’amour à la plage… 

Dans le passé, les écosystèmes marins ont connu une dégradation générale, entraînant une chute alarmante de la biodiversité à l’échelle planétaire et mettant l’humanité en danger. Alors que Miranda, la dernière baleine, fait la une des journaux et que les poissons, à force de ne plus copuler, ont pratiquement disparu de la surface de la planète, Daniel (Gustave Kervern), un biologiste étudiant ces phénomènes, est hanté par son désir de paternité. Il rêve de trouver la femme qui fera enfin de lui, vieux garçon dépressif et désabusé, un père. Il vit à Bellerose, une morne cité balnéaire et passe son temps au laboratoire, où ses collègues scientifiques étudient Adam et Eve, deux poissons-zèbres qui ont pour tâche de repeupler les océans. Mais Adam et Eve ne sont pas d’humeur à batifoler… C’est lors de ses recherches, sur la plage, que Daniel, accompagné de Lucie (India Hair), serveuse dans une station-service, découvrent un jour un étrange poisson doté de pattes, qu’ils recueillent et qu’ils baptisent Nietzsche.

Daniel va entretenir avec cet étrange animal une relation télépathique . Le poisson lui parle et lui fait enfin comprendre ce qui lui manque : l’amour. En effet, obstiné par son envie de paternité, Daniel a fini par bannir toute possibilité de relation romantique, d’autant plus qu’au contraire de notre Arno national, Daniel ne trouve pas si chouettes les filles du bord de mer… Alors que la planète entière est connectée sur un site qui permet de suivre le parcours de Miranda à travers les océans, Daniel, guidé par Nietzsche, consulte un site de rencontres et, avec la maladresse épouvantable qui le caractérise, propose un rendez-vous à une inconnue... 

En ces temps apocalyptiques, il paraîtrait logique que la vie aquatique, aux origines du monde, disparaisse progressivement si nous ne réagissons pas. Pourtant, les créatures marines peuvent nous en apprendre beaucoup plus sur la vie que nous ne l’imaginons, les poissons et les mammifères terrestres que nous sommes ayant besoin les uns des autres pour survivre. C’est sur ce canevas scientifique amusant qu’Olivier Babinet (Robert Mitchum est Mort, le documentaire Swagger) tisse son troisième long-métrage, une comédie douce-amère et loufoque, basée sur des observations scientifiques à peine exagérées par licence poétique (en vrai, les poissons copulent toujours, merci pour eux…), telles que des disparitions d’espèces et la pollution des océans. Des phénomènes liés, entre autres, au changement climatique et aux activités humaines dévastatrices comme la surpêche. Le réalisateur dénonce une possible catastrophe écologique et ses conséquences dramatiques par le biais d’un conte mâtiné de comédie romantique, dont le coeur est la relation entre Daniel et cette drôle de créature à la sagesse inattendue. Le réalisateur donne une voix à ce petit être fantastique, inspiré de l’axolotl, un poisson naturellement très expressif, à l’allure de Pokémon, sans pour autant le rendre trop mignon et forcer l’anthropomorphisme. 

Poissonsexe trouve sa force dans le duo irrésistible formé par Gustave Kervern et India Hair. Le réalisateur / acteur (Louise-Michel, Mammuth, Le Grand Soir, Saint Amour, etc.), que l’on connaît aussi pour ses apparitions dans les sketchs de Groland, compose un personnage plutôt inattendu de sa part, bourru et lourdaud comme toujours, mais également en prise à une profonde tristesse que l’on voit rarement dans ce genre de comédie. India Hair (vue notamment dans Rester Vertical et Petit Paysan) est son parfait alter ego féminin, incarnant une jeune femme a priori joyeuse et positive, qui cache avec beaucoup de pudeur de profondes fêlures.

Trop triste pour être une véritable comédie, trop bizarre pour être un grand drame dystopique, parfois un peu brouillon dans ses parallèles entre la reproduction artificielle des poissons et celle des hommes, Poissonsexe nage entre deux eaux, mais ses thèmes alarmants, que le réalisateur aborde avec humour, sa critique subtile d’une humanité tellement obsédée par le contrôle qu’elle finit par tout détruire sur son passage, sans oublier son message prônant la survie coûte que coûte des deux espèces, en font une œuvre résolument originale.

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