Le numéro de juillet-août de Positif consacre un numéro spécial au néoréalisme : précurseurs, protagonistes et héritiers.
Positif - Le néoréalisme
Le néoréalisme, mouvement cinématographique né en Italie, a bouleversé une conception du cinéma, en Europe, basée sur la littérature et la peinture. « Le néoréalisme est le moment le plus précieux de l'histoire du cinéma », dit Martin Scorsese.
« En dehors du fil rouge de la dramaturgie héritée de D.W.Griffith, Rossellini a changé le cinéma en restant le nez collé sur la durée des choses et des êtres, dans le suspens des sens (...), une façon de raconter un seul événement aux plusieurs petits récits fragmentaires et simultanés. » (Serge Daney).
Dans Positif, le parcours du néoréalisme est analysé avec ce qui le précède (les années 30 en Europe), et ce qui a suivi l'équipée italienne du néoréalisme (avec et autour de Luchino Visconti, Roberto Rossellini, Vittorio De Sica) dans le monde entier. Un riche panorama du cinéma de la péninsule nous montre la prolongation du néoréalisme dans les comédies à l'italienne de Luigi Commencini, Vittorio De Sica, Dino Risi, Ettore Scola, mais aussi via les films de Pasolini (Accatone) et Francesco Rosi (Main basse sur la ville).
Sur le néoréalisme venu de cinéastes qui refusaient de réaliser des films à l'eau de rose appelés « téléphones blancs » (Telefoni Bianchi), période de 1937 à 1941, le bel article de Cesare Zavattini explique que : « la richesse de la réalité consiste à la regarder, ce qui permet de la penser telle qu'elle est. »
En Europe, il y a le free cinéma outre-Manche, dont nous parle Michel Cieutat, rappelant qu'il vient aussi du cinéma documentaire de John Grierson. Les trois animateurs, Lindsey Anderson (Le prix d'un homme), Karel Reisz (Samedi soir et dimanche matin) et Tony Richardson (La solitude du coureur de fond), se sont perdus dans le commerce de l'usine à rêves d'Hollywood. En Grande-Bretagne, ils réalisent des films qui relatent autre chose que les personnages de l’establishment anglais ou l'adaptation des nombreux romans de Dickens. Au nom du réalisme, ce cinéma social a engendré ensuite des cinéastes comme Ken Loach, Stephen Frears et Mike Leigh.
Bien que François Truffaut et Jean-Luc Godard aient participé à certains projets de Roberto Rossellini, Positif nous sort un article curieux d’Hervé Joubert-Laurencin qui s'en prend aux textes d'André Bazin (une sorte de critique des sources par rapport à Saint Bazin, un personnage que les lecteurs de Qu'est-ce que le cinéma ?ne reconnaîtront pas), mais aussi une passe contre la Nouvelle Vague qui s'est inspirée des méthodes du néoréalisme (petit budget, petite caméra 16 mm). C'est depuis longtemps un grand classique de Positif qui, dès le n° 26 de la revue (juin 62), se moquait des réalisateurs de la "Nouvelle Vague" et dont "l'éloge d'André Bazin" était à lire a contrario. On laisse aux lecteurs curieux lire, dans les archives de la revue, les textes polémiques - et grotesques devenus - sur Jean-Luc Godard. Cette fragmentation Godardienne n'a pas été attaquée pour rien. Godard se sert de petits récits et des éclats qu'ils procurent plutôt que du fil conducteur d'une histoire. Ne gardons du tranchant de ce texte bizarre d'Hervé Joubert-Laurencin que l'hommage à Adieu Philippine de Jacques Rozier (1).
Les articles consacrés au néoréalisme, en Amérique du sud, en Iran et en Asie sont particulièrement intéressants. Surtout, La trilogie d'Apu d'Alain Ferrari et La montagne, l'eau, la pomme et la Corée du sud d'Alain Gombaud.
Le cinéma en Corée du sud s'est inspiré du néoréalisme de De Sica et Rossellini, écrit-il : Une balle perdue (1961) de Yu Hyonmok restant le film emblématique du "réalizhum" (réalisme prononcé à la coréenne). Après les pionniers qui se sont inspirés des maîtres italiens, nous avons, quarante plus tard, Lee Chang Dong (Peppermint Candy), l'un des cinéastes les plus importants aujourd'hui. Gombaud conclut comme ceci : « Lee Chang-dong et quelques-uns de ses contemporains ont trouvé l'essentiel. Quitte à blesser ou à déplaire, ils ont eut le courage de nous montrer la montagne comme la montagne, l'eau comme l'eau, la pomme comme la pomme, la Corée comme la Corée. »
En Asie, il reste la Chine, le Japon et Taïwan. Positif nous promet qu'ils seront présents dans un prochain dossier.
(1) Hervé Jaubert-Laurencin a écrit un texte plus nuancé sur André Bazin dans l'une des entrées du Dictionnaire de la pensée du cinéma (P.U.F.) Par ailleurs, Marc Cerisuelo, l'un des rédacteurs de Positif, a écrit un chapitre passionnant sur Bazin et la Nouvelle Vague in Fondus enchaînés (éd. du Seuil). Enfin, Serge Daney a expliqué les deux traditions du cinéma en France qui ne cessent de s'opposer : « Celles des artisans francs-tireurs qui inventent en filmant et qui sont toujours à la recherche de "lignes de fuite" (vers le dehors, la rue, la sortie du studio), et celles des "écoles" qui se calfeutrent et se rassurent dans le contrôle du studio et du décor », in La maison du cinéma et le monde 3, éditions P.O.L.-Trafic.
Positif, 629-630, Dossier sur le néoréalisme + Festival de Cannes 2013