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Rabia de Mareike Engelhardt, 2024

Publié le 11/02/2025 par Cineuropa / Catégorie: Critique

Avec une formidable Megan Northam en tête d’affiche, Mareike Engelhardt délivre un premier long métrage percutant et clairvoyant sur les zones d’ombre de la radicalisation.
"Ici, c’est un plus grand destin qui t’attend." Au total, 42 000 personnes issus de 110 pays ont rallié "’l’État Islamique" en Syrie et en Irak entre 2013 et 2016, un phénomène d’embrigadement à très grande échelle dont le cinéma s’était déjà fait l’écho en plongeant à la source des départs (Le Ciel attendraL’Adieu à la nuit) ou des volontés de retour (Exfiltrés). Mais jamais avant Rabia, le premier long de Mareike Engelhardt, lancé dans les salles françaises le 27 novembre par Memento Distribution, un film de fiction ne s’était immergé avec autant d’intensité, de paradoxes et d’intimité viscérale dans le processus d’endoctrinement sur place d’une jeune Européenne que pourtant rien ne semblait prédestiner à de telles tribulations.

Rabia de Mareike Engelhardt, 2024

 

"Tu crois qu’on est à quelle altitude ? Je n’ai jamais été aussi proche du soleil – C’est trop beau – Ce n’est que le début, tu verras…" Dans l’avion qui les propulse vers une nouvelle vie qu’elles imaginent exaltante ("faire l’Histoire") et qui va totalement balayer leur quotidien de grisaille d’apprenties infirmières en France, Jessica (une fantastique Megan Northam) et Laïla (Natacha Krief), deux filles décomplexées bien de leur âge, ne boudent pas leur plaisir. Leur plan ? Intégrer "’l’État Islamique" où Laïla deviendra comme prévu la femme d’Akram et Jessica sera la seconde épouse. À 19 ans, cette dernière se sent prête pour le grand saut :  elle a appris l’arabe et elle manifeste une dévotion religieuse sans faille.

Mais une fois dans la mafada (une grande maison où sont cloîtrées les femmes dans l'attente d’être mariées) dirigée par Madame (Lubna Azabal) d’une main de fer dans un gant de velours, Jessica découvre une "famille", des règles et une réalité réclamant une soumission absolue. En proie à la confusion de ses sentiments passés ("là-bas, on ne m’écoutait pas, on ne me respectait pas") et aux remous de ses intentions contradictoires (un esprit impulsif aspirant à la liberté et un désir ardent de faire ses preuves), la jeune femme, renommée Rabia, va peu à peu se transformer (non sans souffrances psychologiques et physiques) et passer de l’autre côté du miroir, du côté des bourreaux…

Percutant et passionnant huis-clos au féminin, Rabia réussit à restituer avec beaucoup de finesse les zones grises de la "banalité du mal" en retraçant un parcours personnel poignant et une traversée de l’obscurité à la fois romanesque et à la lisière du documentaire (nourri de moult petits détails d’une crédibilité convaincante). D’une puissance émotionnelle sèche et concentrée, idéalement captée par la directrice de la photographie Agnès Godard, le film radiographie avec une grande justesse et via l’intime un terrain sensible aux yeux de l’Occident ("si elles sont venues ici, c’est parce que quelque chose de fondamental manquait chez elles. Et ton travail, c’est de trouver ce que c’est et de leur donner"). Un constat acéré de malaise qui explique peut-être pourquoi les grands festivals internationaux ont préféré fermer les yeux sur une œuvre aussi prometteuse ayant raflé de multiples récompenses (notamment du public et de jurys Jeunes) dans les manifestations locales (Deauville, Valenciennes, War on Screen, Arte Mare, Macon, Sarlat) où elle a été présentée ces derniers mois.

Produit par la société française Films Grand Huit, et coproduit par Arte France Cinéma, la société allemande Starhaus Production et la société belge Kwassa Films et de la RTBF, Rabia est vendu à l’international par Kinology.

Fabien Lemercier

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