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Rabot de Christina Vandekerckhove

Publié le 27/03/2018 par Lucien Halflants / Catégorie: Critique
Une femme saute du haut d’une tour ou plutôt d’un empilement de briques sans âme habité par de pauvres gens. C'est ce qui est montré d’emblée, avant de proposer une variation esthétique autour de la précarité extrême comme on la voit peu au cinéma. Dans une HLM de Gand plus que précaire, Christina Vandekerckhove filme des existences comme les pénitences chargées d'humour dérisoire et de lyrisme contemplatif. 

Ce film graphique propose une poétique fonctionnant presqu'intégralement sur ce principe : une phrase est énoncée, l’image suivante la fera résonner dans un fracas de précise joliesse. Et ce, dès le premier plan : un surcadrage sur un pigeon enfermé dans un enchaînement de portes ouvertes. L’une d'elle, doucement, se ferme. Naît alors, un évident symbolisme qui se serait intimement mêlé à un formalisme poétique pour offrir un film d’ambiance, hypnotisant et hypnotisé par son sujet. Cette fascination totale, jamais complaisante mais intrigante, rend complexe la parfaite prise en charge du propos. Difficile de dire si la compassion est totale ou si la réalisatrice s’arrête à son observation, brillante, mais taillée pour le déploiement de son art. Cependant, elle semble aussi intéressée par le lieu, le bâtiment et sa matière décharnée, que par ses habitants et leurs états d’âmes mutilés. Alors, elle les regarde silencieusement boire pour oublier l’ennui, la douleur, l’absence, l’abandon et les peurs. Boire pour s’anesthésier de la vie qui pique certains cœurs plus que d’autres.
 
Cette entière proposition de cinéma repose très souvent sur un travail du cadre dans le cadre. Comme une réflexion très théorique mais réussie sur le vide et l’enfermement. Un film radical donc, mais aussi une expérience sensorielle autour de la désurbanisation. Intense et exigent. 
 
Vandekerckhove imagine des subterfuges pour opposer la gestion financière de ces gens qui galèrent à celle des dirigeants aux décisions froides et entrepreneuriales, à travers une suite de plans montrant un homme calculer ses moindres dépenses et des dirigeants internationaux parader à la télévision, toute verve dévoilée. Comment composer un repas à moindre coût contre comment garder un argus positif ? Un traitement aussi nuancé qu'évident. Une véritable écriture dramatique à travers le montage. Plus tard, un plan viendra appuyer ce discours : un ascenseur se referme et les portes arborent un joli « fuck belgen » qui, filmé de la sorte, semble vouloir dire « pauvres amis, le gouvernement vous enferme et vous emmerde ». Lorsque l’art vandale peut allègrement dépasser son propos premier, c'est à la  documentariste de le déceler. 

D'écrans, il en est beaucoup question. Ils y sont montrés comme seules ouvertures sur le monde. Des écrans allégoriques dans un premier temps - les fenêtres par lesquelles les regards vagues s’échappent - et puis ceux, numériques ou cathodiques, qui instiguent le rêve dans les esprits fatigués. 
 
Le film joue beaucoup des ruptures. Les Stabat Mater et récitals de piano d’un extrême raffinement habillent ces gens que le luxe n’a probablement jamais vraiment regardé. Ils luttent contre la folie. D’une lutte lente, résignée et sans fracas, interne mais incroyablement forte. Leurs voix s’élèvent pour tenir des propos divergeant, parfois outrés, parfois outrageux mais toujours dans une colère latente qui explosera dans un silence assourdissant avant d’être totalement oublié. Entre temps, il y aura eu un film témoin.

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