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Re-enacting Collateral Murder

Publié le 08/10/2025 par Lucie Laffineur / Catégorie: Critique

Le film s’ouvre sur ces mots :

« 12 juillet 2007
4 ans après l’invasion américaine de l’Irak, 2 hélicoptères Apache bombardent à plusieurs reprises des habitants du quartier Al Amin à Bagdad sans que ceux-ci ne représentent de menace.
12 personnes sont tuées dont Saleh Motashar Toman qui tentait de sauver un journaliste de Reuters. Ses 2 enfants, Sajad et Doaa, gravement blessés, survivront.
La vidéo de ces attaques, filmée du point de vue des tireurs et classée secrète par l’armée américaine, révèle des actes constitutifs de crimes de guerre.
En 2010, la lanceuse d’alerte Chelsea Manning transmet la vidéo à Julian Assange, co-fondateur de WikiLeaks, qui la publie sous le nom de « Collateral Murder ».
La vidéo a été vue des millions de fois partout dans le monde.
Chelsea Manning et Julian Assange seront torturé·es, persécuté·es et emprisonné·es à la suite de sa publication.
Aucune poursuite n’a été engagée à l’encontre des militaires américains. »

Re-enacting Collateral Murder

Le titre à lui seul évoque la manière dont ce crime de guerre a été traité par les États-Unis : « Collateral Murder », meurtre collatéral. Un mal nécessaire, nous dira-t-on. La mort de certain·es équivaut donc à « un dégât involontaire » pour d’autres.

Le film met en scène cette attaque meurtrière comme une pièce de théâtre où sont rejouées les phrases exactes prononcées par les militaires américains. La comédienne se place dans la rue où a eu lieu l’attaque, en plein quartier résidentiel et familial, loin de toute installation militaire. Les mots résonnent sous les yeux des enfants et des passant·es.
On est frappé par la froideur des propos, presque comme s’il s’agissait d’un jeu vidéo géré à distance, une opération déshumanisée. « Allez, tirez, allumez-les tous. Allez, feu ! » « C’est leur faute d’avoir emmené leurs enfants dans une bataille. »

Impossible en voyant ce documentaire de ne pas penser aux autres massacres engendrés par la colonisation, à la « supériorité » de l’Occident sur le reste du monde, à la façon dont les journalistes sont visés pour masquer la vérité. Et comme pour les massacres des Gazaouis, des Congolais, des Ouïghours, des Rwandais, des Soudanais, on ne peux s’empêcher de se dire que si ces victimes avaient été blanches, le monde ne serait pas resté indifférent. Les responsables auraient été jugés, condamnés. On nous montre ici que ces personnes ont eu la « malchance » de naître en Irak.

Le film évoque également l’après, avec la conséquence de ces prétendus « dommages collatéraux » sur la vie quotidienne des personnes touchées. Pas de justice, pas de dédommagement, pas de réparation, pas de paix. Les proches et les victimes survivantes racontent les blessures physiques handicapantes à vie avec des coûts considérables à assumer sans aucune aide. Mais aussi les séquelles émotionnelles et mentales, des familles brisées par le deuil ne recevant aucun soutien d’aucun État !
Voilà ce que la guerre crée. 

L’actrice et maintenant réalisatrice Sahra Datoussaid est juriste de formation. Elle a exercé le droit pénal ainsi que le droit d’asile et d’immigration comme chercheuse et avocate au barreau de Bruxelles. Elle est aussi cofondatrice de l’Asbl Fem&L.A.W (International FEMinist Legal Association for Women’s rights). Son film coup de poing touche par son propos, mais aussi par sa résonance avec le génocide en cours à Gaza et les autres guerres et massacres contemporains.

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