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Rien ne nous est donné de Benjamin Durand

Publié le 29/11/2021 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Si l’on ne se bat pas, l’on ne nous donnera rien”, assène l’un des témoins et acteurs de ce documentaire de 2018 toujours actuel signé Benjamin Durand, produit par le GSARA. La grève, arme principale des luttes ouvrières à travers l’Histoire depuis l’ère égyptienne, réapparaît ici au travers de quatre décennies de mouvements ouvriers en Belgique.

Rien ne nous est donné de Benjamin Durand

Un panorama qui s’ouvre sur le Bruxelles d’aujourd’hui, accompagné par les présentations des témoins. Anonymisés derrière l’image, l’individualité des protagonistes n’est pas l’objet du film. Pour preuve, leur nom n’est cité que par eux alors même qu’ils sont cachés derrière le panoramique de leur ville. Mise en place d’un champ de bataille, et des guerrières et guerriers contraints et forcés que sont ces grévistes. De 1969 à 2010, le cinéaste dresse une histoire chorale de cinq grèves belges qui ont marqué les esprits, à travers les gens qui les ont vécues. Une approche qui pourrait sembler conventionnelle, si sa forme chorale n’ajoutait une dimension universaliste au propos des personnes interrogées. Ainsi, agencées par le montage, les histoires se répondent, les témoignages résonnent, les mouvements s’unissent. La grève, martèlent les protagonistes par leur discours comme le cinéaste par son propos, est un mouvement collectif. Ensemble, on est  plus fort. Ensemble, on peut affronter le patronat, tenir la grève, et influer sur les conditions de travail.

Et ce, en résistant tant bien que mal aux outils mis en place par le patronat pour diviser, réprimer et condamner l’exercice de ce droit pourtant toujours fondamental.

Construits en crescendo, les trois “actes” de ce documentaire nous emmènent avec les souvenirs des grévistes dans les hauts et les bas de leurs luttes passées. Tour à tour victorieux par leurs stratagèmes, en proie au doute, à l’épuisement, mais soutenus encore et toujours par le collectif. Une unité que nous décrivent avec ferveur, émotion et rires ces hommes et ces femmes réunis par le cinéaste pour témoigner comme ils ont jadis lutté, ensemble.

Sans s’encombrer d’images fabriquées, de reconstitutions ou de mises en scène, Benjamin Durand se plonge dans la matière brute des archives audiovisuelles des grands médias belges qui ont couvert ces actions. Et par son travail impressionnant, porté par les mélopées originales de Jean-Michel Boisse et Maxime Thomas, le cinéaste convoque l’héritage d’Eisenstein. Accumulant les plans, il transforme ces mouvements d’époques et de lieux différents en une masse ouvrière unique, universelle. En la ramenant à son expression la plus simple, il en fait ressortir l’essence, la sublime avant de l’opposer aux répressions et à la riposte du patronat. Une dialectique du montage qui nous ramène à cette autre Стачка, celle des soviétiques transcendée à l’écran par le maître du cinéma russe de l’entre-deux-guerres. Près de cent ans plus tard, et toujours par le cinéma, la grève (re)devient universelle. Preuve qu’elle l’a toujours été.

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