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Robuste de Constance Meyer

Publié le 24/02/2022 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Forces spéciales

Georges (Gérard Depardieu) est une star de cinéma vieillissante et aigrie. Sur les tournages, il est capricieux, incontrôlable, presque autant que dans la vie. Dépressif et désespérément seul, il n’a plus vraiment goût à rien et souffre de crises de tachycardie qui l’empêchent de dormir. Il s’apprête pourtant - pour éponger ses dettes - à tourner un énième film, un drame en costumes réalisé par un jeune metteur en scène médiocre et pour lequel il doit prendre des cours d’escrime, ce qui l’enquiquine profondément. « Le cinéma rend con ! », gueule-t-il entre deux prises. Georges en a marre de faire le guignol, alors il boit beaucoup, se comporte en diva et, de temps à autres, a un accident de moto nocturne. Toute ressemblance…

Robuste de Constance Meyer

Lorsque l’assistant, secrétaire et garde du corps de Georges doit s’absenter pour quelques semaines, il est remplacé par Aïssa (Déborah Lukumuena), 24 ans, une lutteuse semi-professionnelle à la carrure imposante, qui gagne sa vie comme agent de sécurité pour des femmes de diplomates. Naturellement calme et, à première vue, bien dans sa peau, Aïssa fréquente un boxeur, mais n’ose pas s’engager sérieusement dans cette relation qui reste superficielle. Matin et soir, elle s’entraîne à la dure pour une grande compétition, mais elle n’avait pas réalisé qu’assister Georges était un job à  temps plein ! Une corvée dont elle s’acquitte admirablement, avec humour et abnégation. Aïssa est un roc ! Et pourtant, il y a chez elle une sorte de tristesse indéfinissable. Elle n’a plus la rage…

Entre cette jeune femme qui cherche encore un peu qui elle est et le vieil acteur désabusé va se tisser un lien d’amitié. En dépit de leurs nombreuses différences, la vie les a façonnés de manière similaire. Georges et Aïssa sont des contradictions : des corps robustes, mais gracieux. Deux colosses qui ne se laissent emmerder par personne, mais aux pieds d’argile : très forts, mais surtout très fragiles et solitaires. Georges collectionne des poissons rares qu’Aïssa trouve « difformes ». « Un peu difformes, mais beaux quand même », lui répond-il, dans un dialogue dont le symbolisme n’échappera à personne. Seuls, Georges et Aïssa vont à la dérive. En équipe, ils paraissent… intouchables ! 

Film d’ouverture à la Semaine de la Critique au dernier festival de Cannes, Robuste est une œuvre d’une délicatesse franchement inattendue, sans fautes de goût lacrymales. La réalisatrice, qui avait déjà dirigé Depardieu dans trois courts-métrages et qui tourne ici son premier long, signe une œuvre méta, de toute évidence très inspirée de la vie de l’acteur - qu’elle a pu longuement observer -, mais sans voyeurisme. Les parallèles Georges / Gérard sont passionnants et souvent plus qu’un peu touchants pour les cinéphiles. Mais c’est aussi dans les moments de calme que la grandeur de Depardieu apparaît, notamment lors de cette scène bouleversante au cours de laquelle une admiratrice éplorée lui lit un mot d’amour et lui demande de « partager le silence » avec elle. Il l’observe avec bienveillance et tendresse et, pour un bref moment, met son cynisme de côté. Aider Aïssa à se trouver une identité va lui mettre du baume au cœur et lui redonner goût à la vie.

Exister aux côtés d’un tel monstre sacré n’est pas une mince affaire, mais Robuste est un film qui partage les rôles 50-50. Avec son sourire timide et sa force tranquille, la jeune Déborah Lukumuena crève l’écran. Elle compose un personnage sans égo, que la célébrité de son client amuse plus qu’elle ne l’impressionne. Aïssa n’aura sans doute jamais l’arrogance suffisante pour comprendre l’influence positive qu’elle aura eue sur Georges. Cette modestie nous la rend d’autant plus attachante.

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