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L’Intérêt d'Adam de Laura Wandel

Publié le 07/10/2025 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Un autre « monde »

Le petit Adam (Jules Delsart), 4 ans, est hospitalisé pour malnutrition à la suite d’une décision de justice. Lucy (Léa Drucker), l’infirmière en chef du service de pédiatrie, autorise la mère de l’enfant, Rebecca (Anamaria Vartolomei), à rester auprès de son fils, sous surveillance, au-delà des heures de visite fixées par le juge - une décision qui entraîne les deux femmes sur une pente savonneuse. Durant son service, Lucy fera tout pour venir en aide à cette mère en détresse, considérant qu’elle ne peut pas aider Adam en faisant une croix sur Rebecca. La situation se complique quand cette dernière refuse une nouvelle fois de quitter son fils et tente de le kidnapper. C’est maintenant la menace de la déchéance parentale qui guette…

L’Intérêt d'Adam de Laura Wandel

Il y a quatre ans, dans Un Monde, Laura Wandel explorait un microcosme, la cour de récréation, pour raconter une histoire universelle et faire la lumière sur le harcèlement scolaire dès le plus jeune âge. Elle montrait un lieu a priori anodin, l’école primaire, où l’on va pour s’ouvrir au monde et où, pourtant, un enfant vivait l’enfer. Elle poursuit aujourd’hui cette thématique délicate de l’enfance en abordant les maltraitances dans un autre milieu, un service de pédiatrie – où l’on est censé aller pour guérir et trouver des solutions, mais où c’est souvent l’inverse qui se produit. Cette fois, la cinéaste adopte le point de vue d’une infirmière épuisée, mais toujours digne et pleine de bon sens, à la fois autoritaire, douce et bienveillante (formidable Léa Drucker), qui, contre l’urgence de la situation, n’hésite pas à se confronter à une hiérarchie qui fait la sourde oreille. L’humanité de Lucy déborde dans les moments les plus durs, malgré le découragement et un sentiment de culpabilité face à son impuissance. 

Dans le drame vécu par Adam, ce sont trois aspects qui se confrontent : le médical (sa mère - pour une raison qui n’est pas expliquée - refuse de le nourrir de manière traditionnelle, ce qui l’affaiblit et le met en état de carence alimentaire), le social (cette jeune femme, elle-même fragile, est en situation précaire et élève l’enfant seule, refusant obstinément de se faire aider) et le judiciaire (la question de priver la mère de la garde d’Adam se pose, mais les tribunaux étant débordés, aucune réponse n'arrivera vite…) Sous la forme d’un thriller médical (une journée harassante dans la vie d’une infirmière), Laura Wandel examine un cas particulièrement compliqué : certes, l’enfant est mis en danger par les idées absurdes de sa mère et doit absolument reprendre du poids, mais Rebecca est loin d’être un monstre. Elle aime son fils plus que tout et refuse de le voir placé dans un foyer. Mal informée, ses peurs, sincères, et ses convictions profondes la poussent, inconsciemment, à le mettre en danger, à l’isoler d’un monde extérieur qu’elle juge hostile. L’affaire est compliquée par le fait que, sans sa maman, Adam se recroqueville et refuse de se nourrir – ce qui entraîne la menace de lui poser une sonde de gavage. Adam n’est rien sans sa maman. « Je veux rester avec toi, mais je ne veux pas être mort », lui explique-t-il avec ses mots d’enfant, effrayé également par les policiers qui surveillent Rebecca lors de ses visites. 

Ici, c’est donc la décision hâtive de la justice de retirer la garde à Rebecca qui risque d’avoir des conséquences tragiques pour l’enfant – un problème dont seule Lucy, forte de ses années d’expérience, semble avoir conscience, confrontée à des collègues et des juristes trop débordés pour étudier ce cas au-delà des simples apparences. L’intérêt d’Adam est-il de se remettre à manger dès aujourd’hui ou de voir sa mère respecter les horaires imposés ? L’empathie et la compassion d’un membre du personnel soignant doivent-elles avoir des limites quand le bien-être d’un patient est en jeu et que la justice n’a pas le temps ? Lucy se montre-t-elle « trop humaine » ? Le film pose ces questions sans le moindre manichéisme ou solution facile - chacun se fera son opinion. 

Très documenté, filmé en longs plans séquences avec une urgence qui prend à la gorge (le film ne perd pas de temps - il ne dure qu’une heure treize) et un sentiment d’angoisse qui va grandissant (notamment grâce à un environnement sonore étouffant qui transforme l’hôpital en zone de guerre – un procédé déjà présent dans Un Monde), L’Intérêt d’Adam illustre les limites d’un système très imparfait, voire de plus en plus précaire, via les efforts surhumains d’une infirmière particulièrement impliquée dans le drame d’un enfant sans défense et d’une mère démunie, ne comprenant pas ses erreurs. La mise en scène est d’une précision d’orfèvre et, selon l’humeur du moment, ce deuxième film d’une cinéaste avec laquelle il faut désormais compter, fera ressortir l’empathie, la compassion… ou la colère !

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