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Rohmer for ever

Publié le 05/03/2010 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Livre & Publication

Rohmermania, le numéro 653 des Cahiers du Cinéma, consacre un numéro au réalisateur de l'Amour l'après-midi qui fut leur rédacteur en chef entre 1957 et 1962. Plein de témoignages sur la complexité d'un homme qui refusait le spectacle médiatique. Lorsque, sélectionné pour les Oscars en 1972, il dû se rendre à Hollywood, il s'affubla d'une moustache et d’une paire de lunettes à l'énorme monture noire (ce qui amusa beaucoup ses amis proches de la Nouvelle Vague qui l'avait surnommé « momo » – son vrai nom n'était pas Rohmer, of course). Ce coté du refus de la jouissance dans le signifiant (dans l'écran de nos fantasmes, autrement dit, de la reconnaissance de soi avant tout dans le n'importe quoi médiatique), nous plaît beaucoup à une époque où l'on ne cesse de nous rabâcher que la réussite réelle consiste à nous identifier à ceux qui gagnent (quoi au juste, de quoi ne pas mourir ?)

Rohmer for ever

Les entretiens circonscrits et précis d'Eric R. avec ses amis Jean Douchet, Claude Chabrol, Barbet Schroeder, nous renseignent sur cet homme qui ne voulait pas être vu. En 1967, Schroeder va fonder les films du Losange pour lui permettre de tourner, en 1967, la Collectionneuse, film inoubliable pour la génération des sixties. Outre les textes d'Alain Bergala et de Kent Jones (Rohmer chez les étasuniens), vous pourrez découvrir des entretiens avec ses acteurs et ses actrices.

Revenons à sa passion pour elles, à leurs hésitations face à leurs prétendants, à cette fascination pour les jeunes filles (dans ses films, elles ont 18 à 20 ans), pour l'écran de leurs fantasmes. Il y a, chez Rohmer, une fascination (comme chez Lacan) pour l'amour courtois (on reste dans les fantasmes de notre désir, mais dans l'ordre d'un sublime devenu visible.)

Mais ce qui nous importe le plus, et ce pourquoi nous avons rédigé ce texte, concerne la défense ininterrompue de Rohmer pour l'artisanat du cinéma, pour le petit commerce en ignorant l'industrie de la grande distribution du spectacle. Cela exige de travailler avec une très petite équipe, composée de techniciens qui, de films en films, deviennent des proches. Sur le tournage, on vit dans la même maison, voire même, si c'est l'été, on loge sous tente, dans un camping. Cette convivialité d'une équipe d'amis travaillant en commun, offre une autre lisibilité à un film que la pyramide d'une équipe très scindée. Mais surtout, la simplicité du tournage permet de capter l'heureux hasard. Rohmer signalait que, pour être réussi, un film devait trouver le moment essentiel. Il ajoutait « il faut toujours laisser une place au hasard et à l'accident. Et croire qu'il y aura des hasards heureux (…) dans mes films tout est fortuit, sauf le hasard ».

S'il s'agit de l'économie commandant l'esthétique, comme le pense Rohmer, elle exige une grande rigueur pour permettre au réalisateur d'exprimer les conceptions de son film. Rohmer va développer ce principe de l'économie minimum (bel entretien avec Françoise Eschegaray avec qui il fonde CER - Compagnie Eric Rohmer - après les Films du Losange)

Outre la chaîne du tournage et du montage, il y a la diffusion en salles. Rohmer utilise une salle pendant un an à Paris pour montrer son dernier film et non 300 ou 3000 copies en deux semaines. Pourquoi ce système délirant ? Pour rembourser plus rapidement les banques (en leur permettant de spéculer ailleurs, à toute vitesse ?)

Est-ce pour autant que les films à petits budgets sont meilleurs que les autres ? Certainement pas. Les festivals regorgent de demandes de films fauchés destinés à rester invisibles. Simplement, le paradigme du formatage pour obtenir l'appui des financiers, des investisseurs, et donc des banques ne nous paraît pas être la seule solution pour réaliser des films intéressants qui resteront dans l'histoire du cinéma et non pas dans les souterrains des archives du passé.

Rohmer for ever, Cahiers du Cinéma, n°653, Février 2010