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Rosalie, Stéphanie Di Giusto, 2024

Publié le 17/04/2024 par Basile Pernet / Catégorie: Critique

 

À la suite d’un mariage arrangé, la jeune Rosalie (Nadia Tereszkiewicz) se retrouve précipitée dans la vie d’un homme solitaire, Abel (Benoît Magimel), propriétaire d’un café dans le centre d’un petit village. Tandis que l’intérêt du mari est avant tout motivé par les quinze mille francs de dot qui l’aideront à éponger ses dettes, Rosalie, de son côté, n’attend du mariage que la possibilité d’avoir des enfants. Une fois l’argent encaissé, Abel s’intéresse d’un peu plus près à son épouse et découvre l’invraisemblable, l’inconcevable : Rosalie est une femme à barbe. Se sentant tout d’abord trahi et humilié, il la rejette violemment, jusqu’à ce que celle-ci lui propose une offre toute particulière, à même de couvrir l’intégralité de ses dettes et de donner une seconde jeunesse à son établissement décrépit.

Rosalie, Stéphanie Di Giusto, 2024

Rosalie est une femme intrépide, vive, honnête et intelligente. Par ailleurs très pieuse, sa vie est marquée par le recueillement, en un dialogue ininterrompu avec le divin. Tandis qu’elle prie fervemment pour être aimée, sa rencontre avec Abel est tout d’abord marquée par la méfiance et le silence. Puis, l’indignation et le dégoût s’installent dans le jugement d’Abel dès lors qu’il découvre la maladie hormonale que subit la jeune femme depuis sa naissance. Ainsi débute une dialectique très pertinente sur la définition et les caractéristiques de la monstruosité. À partir de là, les choix narratifs sont particulièrement intéressants puisque l’apparence de Rosalie – qu’elle cache rigoureusement dès son arrivée au village – n’est pas découverte par les villageois malgré elle ; c’est Rosalie qui, en réponse à l’ignorance ostensible d’Abel, construit tout un jeu pour attirer l’attention sur sa physionomie mystérieuse. Infiniment provocatrice, elle ne semble que peu déstabilisée à l’idée d’exhiber sa pilosité aux yeux de tous, à attiser mille curiosités, ni même à subir les regards désapprobateurs, à être moquée, conspuée, voire proscrite. L’attachement et l’admiration que l’on éprouve pour le personnage sont liés à ce tempérament très aiguisé, à la fois tendre et résolu. Dans une microsociété rurale de la fin du XIXe siècle, dont le dogmatisme religieux domine les êtres et définit leurs comportements, les paroles et actes de Rosalie sont de l’héroïsme. Lorsqu’on la met au défi de dévoiler sa barbe, la jeune femme s’arme d’un sang-froid infaillible et d’un sens aigu de la dérision qui l’aident à garder le contrôle, non seulement d’elle-même, mais aussi des réactions divisées qu’elle suscite. 

Toutefois, dès lors que la révélation est faite, Rosalie décide d’utiliser son corps pour aider et servir son époux. Évidemment, c’est aussi un moyen pour elle de conjurer ses propres tourments. Tandis qu’Abel est toujours incertain de vouloir échanger la moindre caresse, Rosalie se donne elle-même en spectacle ; elle laisse sa morale de côté pour devenir, aux yeux du public, un véritable phénomène de foire. Cela fonctionne si bien qu’Abel, non content de pouvoir rembourser ses dettes, est saisi d’un embarras qu’il peine à communiquer, fait de contrariétés, de regrets et d’une immense culpabilité. La relation qu’ils construisent est très intéressante puisqu’elle se définit par une confusion permanente, même dans le plus profond des silences, entre morale collective et volonté propre, entre raison et sentiments, entre le sain et l’irrégulier. C’est la pertinence du regard et du jugement qui sont au cœur de leur relation ; ce faisant cette pertinence devient leur marginalité et encourage la virulence des villageois qui, pour la plupart, ne jurent que par les apparences et la rationalité.   

Rosalie est avant tout un film qui raconte une quête personnelle, supposée aboutir à une libération morale, physique et psychologique. À l’origine personnelle, cette quête devient peu à peu celle d’autres personnages, en l’occurrence ceux qui admirent et soutiennent Rosalie.

La mise en scène y est très intimiste, chargée de lents travellings, de plans serrés qui se veulent suggestifs, pour une poétique de la métaphore, notamment entre corps et nature, entre luttes et épanchements. Les interprétations sont très convaincantes, mais les personnages souffrent par moments d’un manque de complexité. De même, on aurait parfois apprécié un traitement narratif et stylistique plus original et audacieux pour un sujet aussi passionnant. En effet, les questionnements qu’il soulève restent quelque peu inertes, mais c’est aussi une qualité, en un sens, puisqu’il incombe alors au spectateur de les analyser et de les confronter.    

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