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Saint-Cyr de Patricia Mazuy

Publié le 01/10/2000 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Madame de Maintenon et ses filles

A la fin du XVIIe siècle en France, Madame de Maintenon, devenue à force d'intrigues l'épouse du Roi Louis XIV, réalise son rêve: créer une école où 250 jeunes filles nobles mais désargentées ou orphelines de guerre recevront la meilleure éducation afin de les préparer au monde. Acquise à l'idée de former une élite féminine, elle veut selon ses termes "le contraire d'un couvent: un lieu où les idées bouillonnent, où souffle l'esprit".

 

Saint-Cyr de Patricia Mazuy

 

Mais les années passent, les petites filles deviennent de jeunes femmes auxquelles ces messieurs de la cour commencent à s'intéresser et Madame de Maintenon ne supporte pas de les voir se transformer petit à petit en courtisanes, comme elle-même l'a été. Sombrant dans une bigoterie sans nom, elle s'entoure de piètres Torquemada et transforme son institution en chambre de torture mystique pour ramener ces brebis égarées sur le chemin de la vertu. Si certaines jeunes filles se révoltent, d'autres esprits fragiles ne peuvent le supporter. Saint-Cyr de Patricia Mazuy

 

Comment une vision émancipatrice empreinte d'idéal peut-elle devenir le plus horrible des cauchemars concentrationnaires? Ayez, pour ceux sur lesquels vous exercez un pouvoir, des projets qui correspondent à vos désirs et à vos peurs. S'ils résistent (et soyez sûrs qu'ils le feront), enfermez-vous dans la pureté de votre vision et contraignez-les à devenir conformes à ce que vous voyez en eux, pour leur bien évidemment. Exercez toutes les pressions physiques et morales dont vous êtes capable et transformez leur vie en enfer dans une quête démente de pureté rédemptrice. C'est l'histoire intemporelle de Madame de Maintenon et de ses élèves, que Patricia Mazuy traite en force dans un film tendu, d'une énergie fiévreuse et d'une austérité janséniste. A l'image de sa reconstitution des temps classiques, où tout est déployé sans fioriture inutile mais, en fait, est peaufiné avec un soin minutieux. Sobres également la mise en scène et la dramaturgie, où les choses importantes se passent dans le non-dit, et le jeu de ces regards qui se jaugent et s'affrontent, que la réalisatrice excelle à filmer. Dans cet art, Isabelle Huppert est depuis longtemps passée maîtresse. Elle livre une composition passionnée, remarquable une fois de plus. Face à elle, deux jeunes comédiennes ne s'en laissent pas compter: Nina Meurisse et Morgane More sont à la hauteur du défi. Les lumières sont crépusculaires, les paysages éclairés comme des tableaux de Poussin. Un film exigeant, mais une belle réussite et aussi une réflexion sur l'éternel problème de la condition féminine, au XVIIe siècle comme aujourd'hui. Une œuvre de qualité dans laquelle la coproduction belge, pour être minoritaire, ne joue pas pour autant un rôle mineur.

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