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Sama Rak de Lionel Croes

Publié le 29/01/2020 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Les enfants mendiants du Sénégal

 

Film au financement difficile et bricolé, tourné par un jeune réalisateur qui signe là un premier long-métrage, porté par une association et qui se donne pour but de dénoncer une réalité plutôt terrifiante, le sort de mômes esclavagisés, au Sénégal, Sama Rak est un film humble, plein de défauts et de qualités. Une fois admis les longueurs du montage, les maladresses narratives, le côté amateur des comédiens (ce qu’ils sont, pour la plupart), ce petit film aux allures de comédie burlesque se met en partage avec pas mal de joie, de tendresse et d’humour. Et puisque c’est pour aborder un sujet dur et grave, c’est en soi déjà une certaine réussite.

Quelle étrange histoire que ce premier film venu du Sénégal ! Son réalisateur, Lionel Croes, a à peine dix huit ans quand il débarque au Sénégal. Dans un petit village côtier, à une soixantaine de kilomètres de Dakar, où il va se balader, il rencontre Daouda qui l’introduit dans sa famille. De retour en Belgique, le jeune homme qui veut devenir anthropologue, se dit que tant qu’à faire, autant repartir. Ni une, ni deux, il s’inscrit en sociologie à Dakar et s’installe dans cette famille de pêcheur à Toubab Dialaw qui l’accueille comme l’un de ses membres. Il n’est jamais plus reparti. Au Sénégal depuis plus de dix ans maintenant, il est chargé de communication pour plusieurs ONG et il a fondé la sienne, Association Solidarité Belgique Sénégal. C’est pour raconter le quotidien des enfants mendiants qu’il a réalisé Sama Rak, pour alerter sur le sort des « talibés », ces gamins confiés par leurs parents à de faux imams pour être éduqués ee qui se retrouvent finalement jetés dans la rue pour mendier. Battus, harcelés, affamés. Dans ses tiroirs depuis 2011, son projet de film a mis plusieurs années à voir le jour. Mais un Trophée des Belges du bout du monde, en catégorie Culture le récompense en 2016 et lui redonne de l’air pour continuer son film.

Film à petit budget, Sama Rak a été tourné dans ce village de pêcheurs avec les habitants et à Saint Louis, dans les locaux même d’Action Sénégal où une équipe de bénévoles accueille et soigne ces enfants mendiants. Et il ne faut pas l’oublier. Parce que Lionel Croes le dit, le redit, l’assène : « Le but du film est de le diffuser un peu partout pour sensibiliser "à travers l'humour" les familles sur les conditions d'exploitations des enfants. » Et il ajoute, ce qui n’est pas négligeable : « Les bénéfices obtenus de la diffusion du film permettront de financer des formations avec ces jeunes ». Sans surprise, Sama Rak, qui veut dire « petit frère » a des accents de film d’ONG, ces petits films rapidement tournés pour séduire les bailleurs de fonds ou sensibiliser les populations. Mais ce n’est pas tout.
Osant les raccourcis narratifs percutants, Sama Rak s’empêtre parfois dans le film d’amateur. Mais il le fait avec simplicité, car après tout, c’est un peu ce qu’il est. Cette manière décomplexée de s’afficher, fait une grande partie de son charme. Car le film, qui se veut beaucoup de choses, s’assume à la fois documentaire sur les conditions de vie et l’histoire de ces gamins, satire sociale, conte populaire, comédie burlesque, film fantastique, etc., etc. C’est ce qui fait souvent la saveur des films populaires, ce genre de patchwork décomplexé, que savent si bien manier les cinémas américains ou asiatiques et que le cinéma européen, plus puriste en ses genres, s’interdit trop souvent. Tranquillement, le film avance vers la comédie, s’emballe parfois dans de vrais moments burlesques, généralement servi par le méchant marabout (joué par le délicieux Mame Mbodj Gaye dont les expressions et les gesticulations sont un vrai délice de cinéma expressionniste). Lucide et cruel, il peut être très drôle sur les rapports hommes/femmes ou noirs/blancs (les bananes à 5000 francs CFA sont à mourir de rire, tout comme la vendeuse qui ne peut contenir sa joie d’avoir réussi un tel coup !) Et sous ses habits de film de sensibilisation, qui réussit à décrire une réalité terrible, il est, par instant, franchement réjouissant, libre et rafraîchissant.

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