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Sans soleil de Banu Akseki

Publié le 21/03/2022 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

La misère, contrairement à ce que chantait Aznavour, n’est pas moins pénible au soleil : depuis quelques années, des éruptions solaires affectent notre planète et provoquent, chez une petite partie de la population, de terribles acouphènes qui obligent les victimes à quitter leurs foyers pour aller vivre sous terre, dans les égouts ou dans des grottes, à l’abri des rayonnements. Maux de tête, bruit incessant, hypersensibilité électromagnétique, crises de larmes, fatigue, vision floue, manque de sommeil, pertes d’équilibre et de mémoire : voilà les effets provoqués par les rayons du soleil chez les plus malchanceux, qui les frappent « comme un venin ». Cette nouvelle population ne tarde pas à être ostracisée : ceux qui ne subissent pas les effets remettent cette maladie invisible en question. Devenus les pestiférés des temps modernes, les malades sont également affectés par la circulation d’une nouvelle drogue très puissante qui atténue les effets du bruit, mais qui s’avère souvent mortelle.

Sans soleil de Banu Akseki

Enfant, Joey (Joe Decroisson) vécut avec sa mère (Asia Argento) parmi cette nouvelle frange de la population, égarés sur les routes et sous la terre, tels des clochards, jusqu’à la disparition mystérieuse de cette dernière. Dix ans plus tard, devenu adolescent, Joey (Louka Minnella) a été adopté par un couple aisé. Sa mère adoptive (Astrid Whettnall), psychologue, reçoit quotidiennement les confessions de patients récemment atteints par « le bruit ». Joey, quant à lui, est toujours hanté par le fantôme de la disparue et l’impossibilité de faire son deuil. Jusqu’au jour où il voit surgir une femme (Sandrine Blancke) portant une veste identique à celle de sa mère biologique et qu’il commence à la suivre. Alors qu’autour de lui, le monde semble sur le point de sombrer dans le chaos, il va se mettre à la recherche de son identité.

Dystopie « pré-apocalyptique », Sans Soleil est une première œuvre austère et pleine de non-dits, qui rejette les conventions spectaculaires du film de science-fiction pour se concentrer sur la fable sociale. Anxiogène, le récit met en scène le paradoxe du soleil, notre principale source de vie, qui, aujourd’hui, détruit tout, et le chaos qui s’installe lentement, accompagné de fractures sociétales, et surtout familiales pour Joey, dont l’obsession de retrouver sa mère va, paradoxalement, lui donner une raison de vivre. L’accent est mis sur le rejet de la marginalité et des malades, signe d’un énième aveuglement de notre société, un préjudice ô combien absurde, puisque qu’à court ou relativement long terme, c’est l’humanité entière qui court à sa perte : tout le monde sera atteint. Ce sont uniquement les marginaux, en quête d’une quelconque spiritualité (même si celle-ci n’est qu’un mirage) avant la mort, qui s’unissent dans une improbable communauté. Les autres, ne comprenant plus les enjeux du monde, s’autodétruisent, cultivent la haine de l’autre et perdent tous leurs repères. 

La fable est juste, visionnaire et fait froid dans le dos. Mais par son minimalisme forcené, Sans Soleil ne s’adressera probablement qu’à un public de festival très réduit.

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