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Sur le tournage de Baroud

Publié le 15/07/2000 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

Manuel Dang, le réalisateur de Baroud, tee-shirt gris clair et jeans couleur charbon prend une cigarette dans son paquet, l'allume et observe, avec attention, une séquence que l'écran de contrôle déroule sous ses yeux. A ses côtés, Michelle Maquet, chef-monteuse, que nous avons déjà eu l'occasion de rencontrer plusieurs fois écarte de son front une mèche de cheveux de la main gauche tandis que de la main droite elle clique sur le clavier de commande de son ordinateur. Le second écran se couvre d'icônes de la taille d'un timbre-poste comme autant de plans d'ouverture des séquences du film. Ils travaillent dans la salle de montage surchauffée du CBA. Baroud, premier film de Manuel Dang, explore l'univers d'un personnage singulier : Mohammed-Michel Qissi. Celui-ci, natif d'Ixelles et d'origine marocaine, rencontre à dix ans Jean-Claude Van Damme avec lequel il partage deux passions : le cinéma et le sport de combat.

Sur le tournage de Baroud

 

Une amitié naît. Les deux hommes courent les castings en Belgique et en France, galèrent à Hollywood, dans la figuration, les jobs alimentaires, dorment sur les plages pendant quatre ans, avant de rencontrer, en 1986, par hasard et sur un quiproquo qui ne manque pas d'audace (1), Menahem Golan. Le patron du Groupe Cannon leur fait signer un contrat de trois ans pour trois films dont le premier - Blood Sport - fait un tabac au Box Office américain. En 1988, Kickboxing, le deuxième film du tandem Jean-Claude Van Damme - Michel Qissi, dans lequel Michel incarne Tong Po, un cruel combattant thaïlandais, remporte, à nouveau, un succès international. Ils enchaînent avec Full Contact, l'année suivante (un remake détourné du Bagarreur avec Charles Bronson). En 1991, Michel Qissi réalise To the Death et, l'année suivante, Back lacht. Puis il revient en Belgique avec l'intention d'y tourner Koma, un film inspiré d'un drame vécu par une proche amie de sa mère, morte de chagrin, après le décès de ses deux fils tués lors d'un braquage. C'est le déclic, Michel Qissi veut y faire participer activement les jeunes issus de l'immigration et les jeunes de milieux défavorisés, proies potentielles à la délinquance et à la drogue et leur proposer une alternative. Initiative originale que Michel Dang a suivie dans l'entourage de Michel Qissi à Los Angeles et à Bruxelles. Qu'est-ce qui fait courir Michel Qissi, ce survitaminé du full contact ?

 

Séquences

Sifflets, hurlements. Nous sommes dans la salle de gym de l'Institut Decroly, un établissement pour enfants difficiles. Plan d'ensemble des gosses, filles et garçons, assis en tailleur, au sol, en demi-cercle, autour de Michel Qissi, la boule à zéro, genre Fabien Barthez. " Je suis très content d'être ici ce soir avec vous tous et on va essayer de garder un certain calme pour pouvoir se parler. Qui a vu Blood Sport, Kickboxing et Full Contact ? - Moi !, moi !, moi ! " Brouhaha indescriptible. " O.k. On va garder le calme sinon je vais devoir m'en aller et je n'ai pas envie de partir, j'ai envie de rester avec vous ". Clameur. " Vous allez me promettre quelque chose - des autographes !, des autographes ! - Je veux qu`après la démonstration on garde le silence complet - Ouais, Ouais - Bon. Le plus important dans un combat, pour que ce soit réel à l'écran, il faut qu'on arrive très près, O.K., Comme ceci ". Démonstration entre un jeune et Qissi qui le frôle en lui filant un coup de savate. Hurlements. " Et si c'est pour de vrai ? " - A ce moment-là on parle avec les gens " - " Même s'il va chez ta femme et qu'il la frappe ? " - " On va lui parler, s'il continue, on va le maîtriser, c'est que cette personne-là a un problème ! - Tu vas quand même te battre ! - Non. Je vais le maîtriser ! " Brouhaha. " Je ne suis pas ici pour parler de la vie de qui que ce soit, en particulier, je parle de la vie de tous les jours, si vous voulez réussir, ce qui est très, très important c'est les études. Et qui vous aide à faire de bonnes études ? - Les parents ! - Evidemment, il y a les parents mais aussi les professeurs. Il faut comprendre qu'ils sont là pour vous, donc il faut les écouter et il faut surtout être concentré. Ensuite, si je veux m'amuser, avec mes amis, il n'y a aucun problème, il y a la récréation. "

Manuel Dang

"Ce qui est paradoxal, en revoyant ces images assez étonnantes, nous confie Manuel Dang, c'est qu'il y ait des institutions scolaires (des écoles réputées difficiles) qui soient amenées à appeler à la rescousse des héros de fiction de jeunes pour faire des conférences sur l'éducation, sur ce qui tourne autour des bases fondamentales de l'école. Qissi est conscient que son image de héros du cinéma lui donne un contact facile avec les jeunes. Mais il y a ce paradoxe de voir un héros de fiction qui sort de l'écran, qui quitte son personnage tout en gardant son rôle. Il incarne toujours systématiquement le " mauvais " dans les films de Van Damme. On l'a choisi pour ça : il a le crâne rasé, une longue queue de cheval et il a vraiment l'air méchant et lorsqu'il va vers les jeunes il leur pose la question : qui aimez-vous dans les films ? Les jeunes répondent toujours : le bon. Il dit : " oui, c'est normal ". Mais lui, c'est le mauvais et il vient avec des messages assez positifs et donc il renverse la situation à son avantage pour la suite de sa démonstration. C'est significatif d'un personnage qui rebondit sur tout ce qui lui arrive dans la vie. "

 

Michèle MaquetSur le tournage de Baroud

" Le travail de Qissi est de se servir de son image de marque, confirme Michèle Maquet, de sa notoriété d'acteur et de cinéaste, pour encourager les jeunes à s'identifier à lui et leur faire comprendre que malgré son enfance difficile (il est issu d'un milieu pauvre), à force d'entêtement, de volonté et de discipline, il est arrivé à quelque chose. Aux adolescents qui traînent et ne font rien de leur vie il veut faire comprendre - à travers son exemple - que rien n'est impossible. Qu'il ne faut pas baisser les bras ! Ce qui est fascinant chez Qissi, c'est qu'on se trouve en face du roi de la débrouille, du culot, qu'il a une volonté d'enfer, qu'il passe à travers tous les obstacles comme un bulldozer. Tout ça en étant parti de rien et en restant un homme simple, tendre et généreux. C'est l'exemple de quelqu'un qui donne un peu aux autres, qui renvoie la balle, en quelque sorte, tout en n'étant pas quelqu'un qui cherche à acquérir du pouvoir. Il est hanté par ce qu'il aurait pu devenir s'il n'avait eu cette passion du cinéma, de la boxe et son amitié avec Van Damme. "

 

Manuel Dang

" On pourrait prendre sa démarche " sociale " pour de la démagogie si c'était une star aboutie mais ce n'est pas le cas. Il essaie de percer depuis vingt ans dans le milieu du cinéma. Il sait où il en est et je trouve cela intéressant. Il est très impliqué par sa famille marocaine qui continue à vivre à Bruxelles. Ses racines sont ici. Il sait d'où il vient et ne veut pas le renier. Vu son parcours qui n'a pas été simple, il est attentif aux autres qui vivent les mêmes difficultés que lui. Abdel, son frère aîné, joue aussi dans ses films, ses soeurs font du maquillage, mais personne ne se prend la tête. Le travail d'Abdel est de travailler à la STIB, il prend donc un congé sans solde, part à Los Angeles puis revient continuer son job en Belgique. Ce qui est fascinant, c'est de découvrir que beaucoup de gens ont besoin de quelqu'un qui déclenche le potentiel qu'ils ont en eux. "


(1) Qissi raconte à Golan que Jean-Claude Van Damme joue dans Predator avec Arnold Schwarzenegger (il y incarne le monstre principal, on ne le reconnaît donc pas). Golan, vérifiant le listing de la production, constate que le nom de Van Damme figure en dessous de celui du bel Arnold. Voulant profiter de l'impact publicitaire de la sortie de Predator, il leur fait tourner en triple vitesse Blood Sport.

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