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Sur le tournage de l’adaptation belge des Beaux Malaises

Publié le 16/10/2025 par David Hainaut, Nabil El Yacoubi et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Tournage

Kody entre fiction et réalité

À Rhode-Saint-Genèse, aux abords de la forêt de Soignes, l’humoriste belge tourne l’adaptation d’un format canadien qui a marqué son époque. Car créée en 2014 par Martin Matte, star au Québec, Les Beaux Malaises a mis en scène un comique jouant sa propre vie. Plus de dix ans après, Belgian Mafia Films et la RTBF en livrent une version belgofrancophone, attendue pour 2026, avec Kody en premier rôle. La série n’a pas encore de titre officiel.

Depuis la rue, la maison choisie pour le tournage semble presque banale. Mais dès qu’on franchit la porte, câbles, projecteurs et régisseurs rappellent qu’elle a été transformée en plateau. Dans la cuisine, Kody et Naïma Rodric rejouent une scène de couple. Via leurs échanges, c’est le quotidien qui surgit, observé à travers une loupe comique. Une remarque mal placée, un silence prolongé, et la gêne devient source de rires.

Du Québec à la Belgique

En 2014, Martin Matte surprend le Québec avec une série qui brouille les frontières, en mêlant intime et fiction. Humoriste très populaire là-bas, il se met en scène dans son propre rôle, en se confrontant à des situations inspirées de sa vie. Le succès est immédiat : plus d’un million de spectateurs par épisode, une pluie de récompenses et une empreinte durable dans la culture locale. La série faisait rire de petites maladresses tout en abordant des thèmes graves comme la maladie ou le deuil. Matte a ouvert un chemin peu emprunté jusqu'alors, montrant qu’on pouvait oser l’autobiographie en comédie télévisée.

Le format a ensuite voyagé. En France, M6 l’a tenté avec Franck Dubosc, mais la greffe n’a pas pris, quatre épisodes seulement ayant été diffusés à la va-vite, puis oubliés. En Flandre, la VRT a lancé Boomer, qui a par contre dépassé les 30 % de parts de marché et obtenu une deuxième saison. Restait une version francophone belge, encore inédite, qui pouvait montrer que le concept avait aussi du sens dans notre culture.

Belgian Mafia Films passe à la fiction

Ce défi, c’est Belgian Mafia Films qui l’a relevé. Derrière cette société, on retrouve un tandem formé par Michel Daemen et Adrien Bralion. “J’ai une boîte de distribution qui s’appelle Crazy Cow,  mais on a créé cette société de production, Belgian Mafia Films”, raconte Daemen. “C’est notre première série et on veut marquer le coup.” Daemen n’arrive pas de nulle part. Depuis plus de quinze ans, ce diplômé de journalisme écume les marchés internationaux et revend ses séries et films dans de nombreux pays, jusqu’en Asie. Il a vendu la série flamande Vermist dans plus d’une vingtaine de territoires. Avec cette adaptation des Beaux Malaises, il change de rôle et endosse celui de producteur délégué. Pour la fabrication, il s’est associé à Adrien Bralion et à sa société La Belge Prod, habituée aux divertissements de la RTBF. “Disons que j’apporte mon réseau international et mon expérience de distributeur. Adrien lui gère le terrain, l’organisation et les équipes. Ce n'est qu'ensemble qu'on a pu lancer cette fiction d’envergure.”


Le choix de Kody s’est imposé comme une évidence. “Il fallait une personnalité ultra populaire. Et Kody a ce côté sympathique qui permet d’aller loin dans l’humour, parfois très incisif, sans braquer le public.” L’ambition est claire : séduire le public belge d’abord et, si possible, s’exporter ensuite. “On espère une diffusion en France et, pourquoi pas, sur une plateforme.” La RTBF, partenaire du projet, explore elle aussi un nouveau terrain. Ces dernières années, elle a multiplié les drames et les polars, mais les comédies restent assez marginales. L’échec de Champion a marqué les esprits, tandis que Baraki, sans être vraiment une comédie pure, a montré qu’une fiction populaire pouvait trouver son public. Ce nouvel essai s’inscrit dans cette volonté de diversité. 

La “fausse vraie vie” de Kody

Pour l’humoriste, c’est un véritable marathon. “Je suis sur tous les plans, c’est difficile de trouver des moments de repos”, confie-t-il. La série reprend son quotidien, mais en version scénarisée. “C’est la vie romancée de Kody. Un humoriste en manque d’inspiration, qui a des angoisses sur son avenir. On y parle de notoriété, de vie de famille, de peurs.” Les scénarios, signés Benjamin Dessy et Grégory Beghin, reprennent la mécanique de Martin Matte, mais ajoutent un fil rouge. Kody, entre deux spectacles, cherche l’inspiration et s’interroge sur son rapport au public. 

Comment rester actuel ? Comment séduire les jeunes sans perdre les fidèles ? Ces dilemmes nourrissent les huit épisodes de vingt minutes réalisés en moins d’un mois. Sa double identité nourrit aussi la fiction. “Ma réalité belgo-congolaise change tout. On suit un couple mixte, une famille métisse, et ça devient une normalité à l’écran. C’est important de montrer ça comme banal.” Pour assurer la justesse des dialogues, il a fait appel à un ami. “Si j’ai une mère congolaise, est-ce qu’elle dirait telle phrase ? Je me suis fait aider par mon pote Pistis, pour vérifier la cohérence.”

Son actualité dépasse le cadre de la télévision. On le retrouve régulièrement dans Le Grand Cactus, où il manie satire et imitation. Il poursuit également la tournée de son spectacle Évolué, chez nous (au Cirque Royal le 23 octobre) et au-delà. Et il vient de participer à Muganga, The One Who Treats, un film de Marie-Hélène Roux consacré au docteur Denis Mukwege et coproduit par Angelina Jolie, qui sera présenté au FIFF 2025. 

Naïma Rodric, d’un succès à l’autre

Face à lui, Naïma Rodric incarne Victoria, sa compagne à l’écran. Native de Dinant, elle a grandi à Namur avant de poursuivre sa carrière en France. Elle vit aujourd’hui dans le sud de ce pays, mais reste très attachée à la Belgique. “C’est toujours un plaisir de retrouver une équipe belge et de travailler dans mon pays d’origine, avec pas mal de visages que je connais bien.” Victoria, son personnage, est une femme indépendante. “Avec Kody, ils forment un couple normal, parfois un peu fou, qui se pose les mêmes questions que beaucoup d’autres. Mais ça reste de la comédie.”

Rodric a multiplié les expériences au cinéma (Le Ciel flamand de Peter Monsaert, Music Hole de Gaëtan Liekens et David Mutzenmacher, BXL de Ish et Monir Ait Hamou) et à la télévision (Un si grand soleil sur France TV et Demain nous appartient sur TF1, qui l'ont popularisé, et à présent Enquête en famille, une nouvelle coproduction franco-belge – avec la RTBF - où elle partage l’affiche avec Bernard Le Coq et Clémentine Célarié). Son parcours illustre la trajectoire d’une comédienne belge capable de naviguer entre cinéma d’auteur, télévision populaire et productions internationales. 

Une équipe solide

Autour d’eux, la série réunit un casting d'habitués des séries belges, comme Clément Manuel (Ennemi public), Baptiste Sornin (Quiproquo), Salim Talbi (Fils de) ou Stéphanie Van Vyve (Septième Ciel Belgique). Ajoutons le trublion français Jason Chicandier, vu – comme Kody et Rodric, d'ailleurs – dans Music Hole.

À la réalisation, on retrouve Grégory Beghin, un "spécialiste" des tournages rapides, qui impose son rythme. “On doit rentrer beaucoup de séquences dans peu de temps, mais on garde l’ambition de donner un vrai souffle visuel.” Il a supervisé l’écriture, tout en laissant à Benjamin Dessy le soin d’adapter les scénarios originaux à la réalité belge. Beghin n’en est pas à son premier projet, lui qui s'est fait remarquer avec des séries (Euh, Burkland) et des films (Losers Revolution, Deep Fear). Des expériences lui ont appris à conjuguer efficacité et humour, à filmer vite tout en maintenant une cohérence de ton. “Le luxe, ce serait bien sûr d’avoir plus de temps, de pouvoir multiplier les prises. Ici, on doit aller vite, mais on garde une ambition esthétique et une volonté d’offrir du rythme.” Son style privilégie l’énergie et les dialogues vifs, avec une attention constante à la crédibilité des situations. “Il faut que le spectateur se dise que ça pourrait arriver, même quand ça dérape vers l’absurde.” 

Le pari de la comédie belge

Le décor choisi pour une dizaine de jours, une maison réelle à Rhode-Saint-Genèse donc, impose ses contraintes, mais donne une dimension immédiate. Ici, il n'y a pas de plateau artificiel. Les personnages évoluent dans des pièces habitées, avec leur vécu.

Au-delà du simple remake, cette version belge démontre une volonté d’offrir des comédies locales qui parlent à tous, sans renier une identité belge. Pour la RTBF, c’est un pari risqué, mais nécessaire. Car la fiction francophone attend toujours ses grandes comédies populaires. Kody, figure familière du petit écran, pourrait, pourquoi pas, être celui qui ouvre la voie. “On a voulu partir d’une page blanche, tout en gardant l’esprit original. Si ça marche, on fera plusieurs saisons”, assure Michel Daemen. La gêne, le rire, l’intime. Les ingrédients sont là. Reste à voir si, en 2026, les spectateurs belges adopteront à leur tour ces beaux malaises.