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Sur le tournage du film Rouler des mécaniques

Publié le 07/08/2025 par David Hainaut, Cyril Desmet et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Tournage

Carnet de bord d’un futur road-movie belge

Premier long-métrage d'un jeune réalisateur bruxellois, Mehdi Pierret, Rouler des mécaniques vient d'être mis en boîte entre la Wallonie et le Luxembourg. Vue de plateau sur une comédie singulière, qui mêlera burlesque, tendresse et moteurs capricieux, portée par une équipe de proches - de l'INSAS surtout - et un duo de comédiens prometteurs.

Feluy, juillet 2025. Perdue au milieu des champs, une route est coupée à la circulation. Une vingtaine de techniciens s’affairent autour d’une voiture, de comédiens et de figurants. Des dialogues s’échappent en boucle. Une preneuse de son gère comme elle peut les bruits causés par les avions et les éoliennes, qui, parfois même, se superposent. Tout ce dispositif ne vise qu’une chose: capter au plus près l’instant où le personnage de Pétard, un trentenaire un peu à côté de la plaque, vient se faire humilier gentiment lors d’une course de voitures improvisée avec des jeunes du coin. Il est en retard. Il n’a pas de vraie voiture. Et dégaine donc une petite, téléguidée. Qui finira écrabouillée, sous les roues des autres. Ce moment de solitude sera l'introduction de Rouler des mécaniques, premier long-métrage de Mehdi Pierret qui, en faisant connaissance, nous dira: "Mais comment avez-vous entendu parler de ce projet?". Avant que le jeune réalisateur ne complète: "Ce n’est peut-être pas une scène spectaculaire à laquelle vous assistez, mais elle raconte tout de suite qui est ce personnage, et dans quel monde on entre".

Formé à l’INSAS, ce jeune trentenaire ayant toujours vécu à Bruxelles assume ici un mélange de comédie et de mélancolie qu’il voulait porter depuis longtemps. "J’ai commencé à écrire juste après mes études, avec une vraie envie de comédie, mais une comédie qui me ressemble. Le point de départ, c’est le deuil. Un proche a appris il y a quelques années qu’il allait partir, car il avait une maladie incurable. Je m'en suis inspiré pour traiter ça différemment, dans un geste doux et enveloppant. Je dirais que c’est un film câlin". Avant ce premier long, Mehdi Pierret s’est fait remarquer avec Le Mobilier, son film de fin d’études, une comédie sociale diffusée sur TV5 Monde et la RTBF, et un autre court (Adieu bureau), sur la souffrance au travail.

Pétard, DJ et les autres

Le film suit le parcours de Pétard, un jeune homme un peu paumé, qui n’a pas de lien solide avec les gens. Il trouve refuge dans une voiture, Nicoletta, à laquelle il s’attache plus qu’à n’importe quel être humain. Mais Nicoletta est un vieux tas de ferraille, et le moteur rend l’âme. C’est le début d’un road-movie bricolé, au cours duquel il croise plusieurs personnages, et notamment DJ, une jeune mécanicienne qui va accepter de l’aider — à réparer Nicoletta, mais aussi, plus largement, à se reconstruire. “DJ était à la base un rôle masculin, écrit pour un ami. Mais celui-ci s'est retiré du projet, ne se sentant plus à l’aise avec le fait de se montrer à l’écran  J’ai alors pensé à Mathilde Caillavet (NDLR: une jeune comédienne française). Au-delà d'être une amie, elle est brillante, drôle, elle chante, elle joue… J’ai réécrit le rôle pour elle. Et ça enrichit le duo, je trouve.”

Les deux rôles principaux sont portés par Mathilde Caillavet, donc, et par Arthur Marbaix, un comédien formé au Conservatoire Royal de Mons, très lié au réalisateur. “J’ai rencontré Mehdi sur son film de fin d’études. On est devenus amis", confie-t-il. "Je n'ai jamais eu un rôle aussi important. L’équipe est incroyable et Mehdi précis. Il est capable de vous dire la grimace exacte qu’il imagine pour un plan. Tout en vous laissant de la place. C’est confortable de jouer dans ces conditions." Avant de tourner, ils ont d’ailleurs travaillé ensemble certaines séquences en résidence. “Ça fait quatre ans qu’on pense ce film. On a passé des journées entières à discuter des scènes, à tester des choses. Il y a un vrai dialogue. C’est précieux.”

Pétard est un personnage discret, à fleur de peau et déconnecté du réel. “C’est un personnage de réception, qui encaisse, cherche et écoute. Il n’est pas dans la blague, mais dans quelque chose de plus flottant. C’est un rôle très intense”, poursuit l'acteur. “Et il lui arrive beaucoup de choses. Il y a du mouvement, des ruptures de ton, des scènes absurdes, d’autres très tendres. Il faut à la fois tout absorber et rester simple." Ce travail de précision est soutenu par un découpage minutieux. “J’essaie de surprendre, d'éviter la mécanique. Je ne veux pas qu’on devine la suite d’une scène dès les premières secondes”, insiste Pierret.

Burlesque en tendresse mineure

Si le rire est présent, il est toujours teinté de trouble. Mehdi Pierret revendique un ton singulier, entre absurdité douce et gravité enfouie. “Mes influences? Les Monty Python, Alain Chabat, Quentin Dupieux et Jacques Tati. Que je n'ai évidemment pas envie de copier. Ce que je veux, c’est créer des scènes drôles à ma manière, avec des personnages qu’on aime. Même s’ils sont un peu ratés ou bizarres." À ses yeux, la comédie reste le meilleur vecteur d’émotion. "Parce qu’elle désamorce et permet d’approcher des sujets profonds sans les asséner.” Un avis que partage Arthur Marbaix: “C’est chouette de participer à une comédie. Le genre n’est pas si fréquent en Belgique.”

Pensée par strates émotionnelles, la structure du film repose sur une série de rencontres. Si DJ en est le pivot, d’autres figures jalonnent le chemin, campés par des profils aussi différents que Bouli Lanners, les frères Taloche, Jean-Benoît Ugeux, Hervé Sogne ou Sophia Leboutte. Certains ne font qu’un passage, d’autres reviennent. Tous apportent une dissonance, une surprise, voire une émotion. “C’est un film où on avance, on fait des détours, on recule, on redémarre”, résume le cinéaste. La voiture de Pétard, Nicoletta, devient vite un personnage à part entière. “C’est son refuge, sa confidente, sa blessure et sa joie. Elle incarne à la fois ce qu’il a perdu et ce qu’il veut encore sauver.” 

Entre camaraderie et rigueur 

La scène tournée lors de notre visite donne en tout cas le ton. Une séquence d’ouverture, simple sur papier, mais exigeante en plateau, puisqu'il s'agit de gérer une course entre une voiture téléguidée et une vraie voiture, de chercher des regards d’enfants dans la figuration ou encore, de gérer la poussière et caméra au ras du sol. Cocasse, aussi, de retrouver parmi les jeunes loubards Elliot Goldberg et Hugo Gonzalez quelques années après leur série commune Lucas Etc, ou Enola Bourgeois, à peine découverte lors du récent Festival du Court-Métrage de Bruxelles (En Voiture Clara). Le tout sous une météo fort changeante. "Ce genre de plan, il faut le refaire cinq, dix fois. Et garder l’énergie à chaque prise", glisse Arthur Marbaix. Mais l’ambiance reste joyeuse. Les sourires fusent. La technique est précise, mais jamais pesante. “C’est un luxe, un tournage comme ça. On est tous à fond, et ensemble. C’est très collectif”, résume-t-il. Même au 27è des 30 jours de tournage, la fatigue se ressent à peine. “Il n’y a pas un jour où on s’est dit: aujourd’hui c’est secondaire. Tous les plans comptent. Mehdi est là tout le temps, il veille à tout.”

Le film est produit par Novak (en Belgique) et Skill Lab (au Luxembourg), avec le soutien de Phosphore Films, un collectif co-fondé par le réalisateur. Les financements proviennent également du Tax Shelter, du Centre du Cinéma et du principal fonds luxembourgeois (Film Fund Luxemburg) où plusieurs scènes ont été tournées. La RTBF et Proximus sont également dans l'aventure, à laquelle a aussi participé ...Tarzan, du nom de l'âne "le plus costaud" du village de Feluy, qui sera l'élément narratif inattendu. Le film a aussi été tourné de nuit en forêt, et dans des extérieurs "aux lumières complexes à gérer" (dixit Pierret)

Et après 

Après une courte pause familiale prévue – avec un bébé à choyer –, Mehdi Pierret s'attellera au montage. Une sortie est envisagée courant 2026. Le réalisateur souhaite prendre son temps, peaufiner. “J'aimerais que le film tienne, émotionnellement, narrativement, musicalement. J’ai aussi une idée précise du rythme, du mixage et du ton. Tout cela réclame du soin.". On l'aura compris, le film est le fruit d’un cheminement personnel. “Je n’ai jamais voulu faire un film pour impressionner. Je veux juste faire un cinéma qui me ressemble. Et qui peut-être, puisse toucher quelqu’un d’autre."

Si le film risque d'amuser, il devrait donc toucher, aussi. Car derrière les gags, il y a cette question centrale: comment faire le deuil de ce qui ne reviendra pas? Pour Pétard, c’est une voiture. Pour d’autres, une personne. "Le vrai sujet, c’est l’acceptation: d’une perte, d’une absence ou d’un changement. Et ça peut être raconté autrement que dans les larmes. Mais je voulais une vraie comédie. Qui, je l’espère, donnera un peu de baume au cœur”, conclut Mehdi Pierret. 

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