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Sur le tournage d'À juste titre, de Jean-Luc Couchard

Publié le 09/03/2023 par David Hainaut et Marwane Randoux / Catégorie: Tournage

Une affaire de femmes

En cette première semaine de février, le tournage d'un court-métrage a suscité notre attention, en province de Liège. D'une part, car il a été réalisé par Jean-Luc Couchard (Dikkenek) et - entre autres - interprété par Déborah François (L'Enfant). Et d'autre part, car envisageant de devenir un outil pédagogique, ce film tentera d'aborder différemment le thème des violences faites aux femmes.

Croisé quelques semaines plus tôt à Bruxelles à sa sortie de scène au Théâtre de Poche, où il incarnait - avec brio - un père de famille dans une adaptation anglaise (Violence and Son), le comédien Jean-Luc Couchard nous avait soufflé, presque par hasard, le tournage imminent de son deuxième court-métrage (après Il Padrino, en 2019), dans sa région liégeoise. Une information qui a forcément attiré notre attention, d'autant que son casting, assez éclectique, incluait la présence de Déborah François, aux côtés de quelques valeurs sures (Isabelle De Hertogh, Renaud Rutten, Stéphanie Van Vyve...) et de visages connus (Félicien Bogaerts, Jérôme de Warzée...) du paysage. Ajouté à ces éléments, son film traite d'un thème essentiel, celui des violences faites aux femmes. Suffisant pour témoigner de notre intérêt à Couchard. Autour d'une (petite) bière, évidemment...

"Un cri du cœur"

Quelques jours plus tard, l'appel d'une dénommée Raja Lachhab, se présentant comme la productrice du projet, allait concrétiser notre venue sur le plateau, prévu au milieu d'une semaine de prises de vue liégeoises. Plus exactement dans le joli village de Ferrières, une école (le Collège Saint-Roch) dotée d'un internat y ayant été repérée. L'endroit, tant pour son esthétisme que son côté logistique, cadrant bien avec le projet. Car l'action de celui-ci, annoncé comme "Un cri du cœur, lancé dans l'espoir que le plus grand nombre le voie, le comprenne et le partage", se déroule notamment dans un foyer de femmes battues. "C'est un type d'hébergements qui manque cruellement aux associations féminines, beaucoup de femmes violentées ne sachant souvent pas où se rendre. Et c'est quelque chose dont on ne parle absolument jamais!", nous expliquera Déborah François, particulièrement impliquée dans cette cause.

La raison de la présence de l'actrice dans ce film va donc bien au-delà de son lien amical avec Couchard, noué en 2011 sur le film Les Tribulations d'une caissière, ou même de leurs origines natales communes. "En recevant son scénario, j'ai trouvé que la manière dont il traitait le sujet était subtile, émouvante et même drôle", a-t-elle ajouté. "En fait, on aborde cette thématique délicate comme on le fait rarement. Avec un ton émouvant et joyeux, et un retournement filmique improbable. On imagine souvent qu'on doit parler de ce genre de choses avec gravité or, pas spécialement. Là, on se situe plus dans un groupe de femmes, où il y a de la bonne humeur, de la solidarité et du soutien. Et moi, je joue une des pensionnaires arrivées il y a plusieurs mois dans ce foyer. Mon personnage est quelqu'un de très dur avec les hommes qui battent leur femmes. On va donc bien s'occuper d'eux ! (sourire)

Jean-Luc Couchard, un artiste discret et fédérateur

De l'histoire d'À juste titre, sans bien sûr trop en dévoiler, évoquons-là. Ce futur métrage d'environ vingt minutes évoque l'histoire d'Emma (Stéphanie Van Vyve) et de Pierre (Frédéric Etherlinck), un couple de bourgeois. "Elle est la femme d'un homme puissant, qui n'est autre le bourgmestre d'une ville wallonne et adulé par tout le monde", nous précise Couchard, entre deux prises. "Mais battue par lui, elle finit par se réfugier dans un foyer. Là, elle va y rencontrer trois autres femmes violentées : Lola (Déborah François), Lucie (Daphné Huynh) et Marie (Isabelle De Hertogh), toutes issues de milieux différents. Je n'en dis pas plus, mais ce sera un film plus personnel que mon premier, car ce sujet me touche. Il y a longtemps que je suis acteur, mais j'ai aussi envie d'écrire, de réaliser et de raconter des histoires. Puis, j'arrive à présent avec le bagage d'un premier court, je connais les plateaux et j'ai aussi la chance d'avoir une superbe équipe. On se connaît tous bien. Et cette fois, je ne joue pas dedans : je m'étais prévu un rôle, mais comme il n'apportait rien à l'histoire, je me suis coupé !"

En plus des noms ronflants cités, on croise sur le plateau de belles références belges aussi au niveau technique, tels Bruno Degrave (Zone Blanche, Baraki...) à l'image ou Céline Bodson (Les Visiteurs : la révolution, Laissez bronzer les cadavres...) au son, alors que Philippe Bourgueil (Les Émotifs anonymes, Les Rayures du Zèbre...) se charge du montage. Une sorte de "dream team" inhabituelle, convenons-en, pour un projet de cette taille, qui a également pu se constituer grâce à une qualité simple mais unanimement louée de Couchard par toute son équipe : sa gentillesse. "C'est vraiment lui qui nous rassemble", nous confirmera Déborah François. "On se rend tous et toutes compte qu'on a le même respect et la même tendresse pour lui." Proactif, l'acteur vu dans Les Barons, Taxi 4 et Rien à Déclarer sera bientôt au cinéma dans Apaches (avec Niels Schneider, Dominique Pinon...), un long-métrage français qui en précédera un autre dans l'année, 3 jours Max (avec José Garcia).

Le premier court-métrage joué par Déborah François !

Disponible comme à son habitude, l'actrice révélée par les Dardenne et césarisée en 2009 pour Le Premier jour du reste de ta vie, nous apprendra une nouvelle pour le moins étonnante : "C'est mon premier court-métrage comme actrice, ce qui assez dingue, quand on observe le parcours habituel d'un(e) comédien(ne). Soit parce qu'on ne m'en propose pas, soit car on n'ose pas, en me cataloguant comme une actrice de longs-métrages. En Belgique, on me pense parfois trop chère voire, on me croit Française ! Je l'avoue, je suis oubliée par le cinéma belge ! Je rêve pourtant de rencontrer Lukas Dhont (sourire). Bon, il y a aussi quelques projets de courts que j'ai refusé ou qui ont été avortés. Et parfois, je ne sens pas le scénario ou je ne suis simplement pas libre. Mais dans ce cas-ci, j'ai été prévenue bien en avance. Tout s'est bien mis dans les agendas."

Au passage, on rappellera néanmoins que François est pour la première fois passée derrière la caméra l'an passé, pour signer son propre court-métrage (Mouton Noir, présenté à Cannes dans le cadre des talents ADAMI, "Avec Jeremy Gillet, l'un des prochains grands noms du cinéma belge") et qu'elle vient de coécrire son premier long-métrage (Mi Soledad tiene alas/ Ma solitude a des ailes, de Mario Casas), sur lequel elle a même été engagée comme conseillère artistique. "C'est une production espagnole qui sortira cet été là-bas, puis sur Netflix chez nous. J'ai aussi envie de réaliser un long. J'élargis un peu mon spectre, mais ma passion première reste la comédie". Comme dans L'Île Prisonnière, une mini-série fraîchement diffusée par France 2, scrutée par près de cinq millions de téléspectateurs.

Raja Lachhab, une productrice atypique

Pour en revenir à Raja Lachhab, la productrice impliquée du film, celle-ci a la particularité d'effectuer une double-carrière, puisqu'elle est en parallèle gestionnaire d'actifs dans l'immobilier. Cette autre Liégeoise a par ailleurs œuvré plusieurs années comme assistante dans une boîte de production bien connue, Tarantula. "Je suis avant tout une passionnée de cinéma. Il y a six ans, j'ai créé une ASBL, Dream and Joy, et là c'est mon troisième court, après La femme d'aujourd'hui (déjà avec Van Vyve) et Il Padrino (déjà avec De Hertogh, Rutten et Couchard). Celui-ci est né naturellement, durant le Covid. On entendait alors beaucoup parler des violences familiales, et on s'est dit avec Jean-Luc qu'il serait intéressant d'en faire un film. Qui, au-delà des festivals et des écrans, puisse aussi être un outil circulant dans les écoles, les ASBL, etc..."

Mais au fait, comment Couchard et Lachhab se sont-ils rencontrés ? "En lançant la toute première édition du Festival de Comédie de Liège, en 2016", précise-t-elle. "Vu son expérience, il y avait apporté tout l'aspect cinéma (sélection de films, invités), et moi j'étais plutôt dans l'élaboration de stratégies, autour de l'événement. Quand il s'agit de mettre un projet en place, on se complète bien, en fait". Qui sait d'ailleurs, si on ne retrouvera pas un jour ce tandem-là autour d'un long-métrage, chacun(e) nous ayant fait part d'une envie à ce niveau. Sans pour autant brûler les étapes. "On s'était bien amusé dans son premier court mais là, je pense qu'on se perfectionne. On a veillé à bien nous entourer, pour le rendre plus professionnel. Puis, si ce film est centré sur les violences conjugales, on a voulu sortir un peu du cliché que le sujet concernait uniquement les familles défavorisées. On l'a donc installé dans un milieu plus huppé, où la problématique est moins abordée. Or, en termes de viols, il n'y a pas de catégories sociales !"

Un film bientôt prêt à être dévoilé

Produit par l'ASBL Dream and Joy donc, le film bénéficie en outre du soutien du Ministère des Droits des Femmes (Christie Morreale) et d'organismes privés, comme les Soroptimist (de Liège et Liège-en-Isle), un collectif faisant évoluer la cause des femmes dans la culture, d'éducation et la santé. À juste titre est par ailleurs interprété par les Belges Denis Closset et Sylvia Rousseaux, ainsi que les Français Juliette Plumecocq-Mech - la directrice du foyer - et Damien Jouillerot. Sortie d'ores et déjà prévue pour ce printemps 2023.

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