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Olivier Meys, sur le tournage de La Vie devant nous

Publié le 19/12/2023 / Catégorie: Tournage

Dans La Vie devant nous, Olivier Meys raconte l’histoire de deux adolescentes dans un centre pour réfugiés de la campagne belge. Jahia craint l’avenir qui l’empêche de vivre. Elle se lie un jour d’amitié avec Mila. La famille de celle-ci doit soudain quitter le territoire et la jeune fille sombre brutalement dans le coma, victime du syndrome de résignation. Jahia va remuer ciel et terre pour la réveiller et ne pas sombrer dans le désespoir. Le réalisateur a tourné le film dans un centre pour réfugiés bien réel et nous dévoile les détails du casting et de sa collaboration avec les deux actrices en herbe et la Croix-Rouge.

Cinergie : D’où vous est venue l’idée du film ?

Olivier Meys : Mon premier intérêt pour la thématique date de la grande vague de migration des années 2015 et 2016, quand les Syriens ont fui en masse leur pays et la guerre et qu'ils sont arrivés en Europe. Ça a créé un grand débat. À ce moment-là, je vivais en Chine et j'ai suivi ça au travers des infos, des journaux, de la radio, etc. Quand je suis revenu me réinstaller en Belgique, j'ai gardé la curiosité d'essayer d'aller voir par moi-même comment se passait l'accueil de ces personnes en Belgique. Derrière la tête, j'avais une question : comment des adolescents vivent cette période assez particulière qui est la procédure assez longue de demande d'asile ? C'est un âge de la vie assez particulier où on a besoin de s'ancrer dans un présent, de se projeter dans un futur, alors que cette procédure signifie un présent assez restreint et un futur très flou. Je voulais donc aller à la rencontre d'adolescents, voir comment ils pouvaient vivre cette période. Maintenant, ça ne faisait pas une idée de film. J'ai plutôt senti qu'il y avait un film à faire sur cette pulsion de vie adolescente, la façon dont elle pouvait s'incarner et se vivre dans ce contexte-là et quelque part, sur l'abandon même de cette pulsion de vie qui se représente dans ce syndrome de résignation.

 

C. : Vous avez dû effectuer de longues recherches dans le cadre du casting. Comment ça s’est-il passé ? Comment avez-vous finalement opté pour Rania Noura Bance et Sofiia Malovatska ?

O. M. : Le casting était assez long, il a duré plusieurs mois. Ce n’est pas évident de trouver des jeunes filles de 16 et 17 ans qui peuvent à la fois incarner les personnages et transmettre les émotions qui sont écrites dans le scénario et avoir une certaine apparence, un certain caractère pour incarner une Burkinabè et une Biélorusse. Il fallait que ça soit nourri par une vie. On a commencé à orienter nos recherches dans le milieu des adolescents demandeurs d'asiles sur trois territoires : en Belgique, dans le nord de la France où il y a beaucoup de centres d'accueil et en région parisienne. On a d'abord ciblé le public des jeunes adolescentes demandeuses d'asile, en sachant que ça n'allait pas être facile de trouver les deux perles dans ce réservoir assez étroit. Ça correspond à pas mal de monde, mais tout de même… Puis on a étendu nos recherches aux communautés, aux personnes de deuxième génération qui étaient arrivées plus tôt. Finalement on a eu de la chance. On est tombés sur Sofia, une Ukrainienne originaire de l'est du pays, donc russophone, qui vivait à Dijon avec sa mère depuis le début de la guerre. Elle avait des velléités de jouer, d'être actrice, mais elle n'avait encore rien fait. C'était le premier casting et le premier rôle pour nos deux actrices principales en fait. J'ai trouvé Sofia relativement tôt, vers décembre-mars, mais Rania Noura Bance, l'interprète de Jahia, je l'ai trouvée assez tard. C'est assez comique qu'il ait eu un tel laps de temps entre les deux. J'ai trouvé Rania dans un centre pour mineurs non accompagnés dans le nord de la France. Elle vient de Côte d'Ivoire. C’était donc relativement frais. Avec ces deux profils, j'ai pu avoir des actrices qui pouvaient vraiment jouer les rôles et susciter de l'empathie, nous emporter dans leur histoire. Comme les deux étaient arrivées en France, même pas deux ans avant le casting, elles détenaient ce petit grain d'accent, ce qui offre une touche de réalisme qui m'était très chère. Tous les efforts qu'on a déployés pour aller rechercher dans les centres les personnes qui pouvaient être intéressées par ce film ont été payants.

 

C. : Comment s’est passée votre collaboration avec ces deux jeunes actrices en herbe ?     

O. M. : Ça s'est très bien passé. On a répété avant le tournage. Malheureusement, vu les problèmes de papiers, comme elle était une mineure non accompagnée, Noura n'a pas pu avoir accès au territoire belge avant le début du tournage. On a fait des répétitions en dehors du lieu de tournage, c'était un petit regret. Mais vous savez, le jeu c'est assez instinctif, en tout cas chez elles. J'ai essayé de rechercher deux jeunes filles à l'aise qui jouaient quelque part leur rôle. Je ne les ai pas prises pour ce qu'elles n'étaient pas. Donc, je n'ai pas la prétention de pouvoir les instruire au jeu d'acteur. Elles ont vraiment été happées par le projet et elles se sont données à 100%.

 

C. : Quelles ont été vos démarches pour réussir à utiliser ce centre pour réfugiés dans le cadre de votre tournage ?

O. M. : J'avais commencé mes travaux d'immersion et de recherche de mon sujet en passant du temps dans des centres pour demandeurs d'asile de la Croix-Rouge qui m'avait bien gentiment ouvert leurs portes. C'est assez naturellement qu'au moment où il a fallu trouver un endroit où tourner ce film, on a frappé à la porte de la direction générale en Belgique francophone. Ils ont été très réceptifs au projet. Ils ont lu le scénario, il leur plaisait et ça les intéressait d'avoir un film qui se passe chez eux. On entend beaucoup parler de ces centres, mais peu de gens passent la porte et vont voir comment ces personnes y vivent. Ils nous ont donné les possibilités d'aller visiter des centres en pleine nature et on a été à chaque fois très bien accueillis. Celui que j’ai choisi et qui me paraissait le mieux en termes de potentiel et de mise en scène est un ancien complexe de vacances pour enfants de la R.T.T. à Fraipont, qui a été reconverti. Je ne voulais pas faire de film urbain. C'était important pour moi que ça soit un lieu dans la nature. Toute l'équipe de la Croix-Rouge sur place nous a accueillis avec gentillesse. C'était parfait, à tout niveau. La collaboration a pu se mettre en place de manière très profitable pour les deux partis parce qu'on était l'animation de l'été du centre où il ne se passe pas grand-chose durant cette saison. C'était idéal pour nous de pouvoir représenter un centre qui existe véritablement et dans lequel les gens vivent. Il y avait quelques contraintes au niveau des horaires : ça devait rester avant tout un centre pour demandeurs d'asile et pas un studio de tournage. Mais le film, qui repose à la fois fort sur un réel et en même temps qui est très ancré dans de la fiction, a pu trouver une belle manière de s'exprimer. Il n'y avait plus qu'à le filmer pour le représenter. La latitude qu'ils nous ont donnée nous a permis de raconter au mieux cette histoire. À différents moments du tournage, on a engagé certaines personnes du centre pour travailler avec nous  ; ils ont fait la figuration et se sont occupés du décor. 

 

C. : Comment s’est passé le tournage en lui-même ?

O.M. : L'équipe de tournage avait beaucoup d'expérience. Ce n'était néanmoins pas un tournage facile parce qu'il a beaucoup plu. Je voulais réaliser un film plutôt solaire. On a dû passer entre les gouttes. Le fait de pouvoir tourner en grosse partie dans ce centre nous a permis de faire des scènes intérieures quand il pleuvait, de sortir quand il faisait beau. Au final, ce film sera bien estival.

 

C. : Comment vous êtes-vous renseigné sur le syndrome de résignation ?

O.M. : Tout le contenu du film est issu de mes observations. Ce sont des choses que j'ai vues ou entendues dans le cadre de mes périodes d'« immersion documentaire » en amont du tournage. L'écriture du scénario a pris un certain temps et c'était vraiment des allers-retours entre la table avec le co-scénariste John Shank et ces moments d'immersion. C'est en fait au détour d'une conversation avec une psychologue qui s'occupait d'adolescents demandeurs d'asile que j'ai eu connaissance de ce syndrome. J'ai rencontré ensuite des médecins pour en savoir plus sur le coma, afin d'être le plus juste par rapport à tout ça. Dans ces populations de demandeurs d'asile, que ce soient des adultes ou des enfants, il y a un problème très sérieux de santé mentale. Tout l'accompagnement psychologique est vraiment très attentif à ces personnes. Ce sont des gens fragilisés de par leur histoire, leur fuite, leur trajet, leur accueil. Entendre parler de ce syndrome m'a vraiment permis de penser à un projet : le film que je voulais écrire sur la pulsion adolescente trouvait là sa face sombre. C'est autour de ces deux pôles que j'ai pu organiser un récit.

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