En février, Sylvie Porte, chargée du Carrefour de l’Animation au Forum des Images (Paris) présentait, au festival Anima (Bruxelles), un panorama animé et interactif de films d’écoles françaises. Un mois plus tard, la sixième édition du Carrefour accueillait la Belgique hors les murs à la Cité des Sciences et de l’Industrie. Du 14 au 16 mars, des professionnels de l’animation issus des deux pays se rencontraient pour confronter leurs points de vues sur le secteur, son enseignement, sa spécificité, sa productivité et son rapport au public.
Pendant trois jours, les ateliers et les rencontres avec les écoles françaises jouxtèrent les rendez-vous belges à travers deux rencontres (l’une avec Raoul Servais, l’autre avec Vincent Patar et Stéphane Aubier), des tables rondes sur le cinéma d’animation en relief, les liens entre la BD et l’animation, et les histoires animées franco-belges.Mais aussi des cartes blanches (La Cambre et KASK), une exposition en partenariat avec le Centre Wallonie-Bruxelles (De la case à l’écran) et des projections (Belvision, la mine d’or est au fond du couloir de Philippe Capart, Fly me to the moon de Ben Stassen et L’évasion d’Arnaud Demuynck). Au détour d’une séance, entretien avec Sylvie Porte, chargée de projet.
Sylvie Porte, chargée du Carrefour de l’Animation
Cinergie : Comment le Carrefour de l’Animation est-il apparu ?
Sylvie Porte : Le Carrefour de l’Animation, initié par le Forum des Images se situe entre deux axes : d’un côté, la valorisation du cinéma d’animation, de l’autre, l’encouragement de la jeune création.
Tout a commencé en 2003. Xavier Kawa-Topor, le directeur de l’action éducative de l’époque, avait monté un festival intitulé « Nouvelles Images du Japon » et organisait des rendez-vous mensuels autour de grands auteurs du cinéma d’animation au niveau mondial. Chaque mois, un grand nom y était invité.
De mon côté, je m’occupais de la jeune création au Forum des Images. Nous avons alors eu l’idée de créer un événement particulier autour de la jeune création pour qu’enfin les écoles, les étudiants, les formateurs, les professionnels et le public puissent se rencontrer. Il n’existait pas d’équivalent en France. Nous avons donc créé le Carrefour de l’Animation pour instaurer un véritable débat sur l’actualité des métiers de l’animation et, depuis trois ans, du jeu vidéo qui a un rôle important. Depuis 2005, nous accueillons aussi des pays étrangers. La première année nous avons invité le Japon, puis, la Grande-Bretagne et cette année, c’est au tour de la Belgique.
Au vu du succès rencontré, je pense que l’on peut dire que le carrefour est devenu un rendez-vous incontournable pour ceux qui s’intéressent à ces métiers.
C. : En France, de nombreuses écoles forment au cinéma d’animation. La Belgique se défend avec deux écoles principales. Est-ce que la jeune création française trouve des débouchés et poursuit dans le secteur ?
S.P. : Depuis la création du Carrefour de l'Animation, des tables rondes sont organisées. La première année, des anciens étudiants des écoles les plus connues comme Supinfocom Valenciennes ou Gobelins, l’école de l’image se sont réunis autour d'une question : « Quels seront les professionnels de demain ? » Leurs profils étaient totalement différents mais ils avaient tous réussi à trouver du travail. Des grands noms comme Florence Miailhe, Arthur de Pins [juré à Anima cette année], Merwan Chaban, Sébastien Lebenbach sont passés par le département cinéma d’animation de l’ENSAD (l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs), l’une des formations les plus réputées et les plus anciennes. Je crois qu’en général, les étudiants trouvent tous leur voie, soit en tant qu’auteur-réalisateur, soit dans l’infographie, soit dans la publicité, en fonction de leurs envies et de l’école qu’ils choisissent. Par exemple, à l’ESAG (l’Ecole Supérieure d’arts graphiques et d’architecture intérieure), les diplômés vont beaucoup travailler dans le graphisme. Ailleurs, certains vont commencer tout de suite sur des séries, d’autres dans la publicité,…
Au moment des jurys de films de fin d’étude, certaines écoles accueillent des gens de chez Pixar, de Dreamworks, de Motion Pictures qui viennent recruter en France les talents français.
C. : À qui se destine votre manifestation ?
S.P. : Elle rassemble un public très large : les professionnels de l’animation et du jeu vidéo, les étudiants des écoles présentes, les lycéens et leurs parents qui viennent s’orienter sur la formation de leur choix, le public familial mais également le réseau d’anciens étudiants qui intervient très souvent dans les tables rondes. La première année où le jeu vidéo a fait son entrée, en 2005, je me souviens que ces publics se sont vraiment rencontrés. Les étudiants montraient les prototypes de leurs jeux et en même temps, ils initiaient les gens à la pratique du jeu. Il y avait plein d’enfants curieux et enthousiastes autour d’eux !
C. : Après le Japon et l’Angleterre, vous avez invité la Belgique pour un regard croisé. Qu’est-ce qui a suscité cette envie particulière ?
S.P. : L’invitation à un pays est fréquemment liée à un vrai coup de cœur vécu dans un festival. Pour moi, c’est souvent à Annecy que tout commence. L’idée d'inviter le Japon était lié à notre festival « Nouvelles Images du Japon » qui n’avait pas pu se tenir cette année-là en raison des travaux, mais aussi parce que j’avais assisté à une table ronde, à Annecy, sur le jeu vidéo. Un professionnel présent parlait d’un projet avec Yoshitaka Amano, un grand de l’animation qui a travaillé pour le théâtre, le cinéma, le jeu vidéo et avec les plus grands réalisateurs notamment avec Mamoru Oshi. En rentrant d’Annecy, j’en ai discuté avec ma direction et nous avons décidé de l'inviter.
En ce qui concerne la Belgique, c’est aussi une très belle histoire. La Belgique faisait partie des pays que nous souhaitions inviter, la Belgique était inéluctable de par sa proximité et son importance dans le domaine. Je suis allée au Festival International de Cinéma d’Animation de Meknès (FICAM) où j'étais invitée pour présenter un « Panorama de films d’écoles françaises ». J’y ai rencontré deux personnes absolument passionnantes, Paulette Smets du studio Belvision en Belgique et Philippe Capart, réalisateur belge du formidable documentaire, Belvision, la mine d’or est au fond du couloir.
La rencontre a accéléré les choses, et l’invitation s’est confirmée après, à Annecy (où était organisé un focus Bénélux). Paulette m’a invitée au vernissage de l’exposition « De la case à l’écran ». Chemin faisant, j’en ai parlé à Philippe Moins (du festival Anima) que nous connaissions déjà depuis de nombreuses années étant donné qu'il venait très souvent au Forum des Images et que nous allions aussi à Anima. L’idée a été entretenue et avec Frédéric Lavigne, mon directeur de service actuel, nous avons composé un programme et pensé à Raoul Servais, Vincent Patar et Stéphane Aubier. Hormis les professionnels, nous avons invité La Cambre et le KASK.
C. : Ce croisement de regards a-t-il été nourri par une conception autre qu’artistique à savoir les coproductions franco-belges de plus en plus fréquentes en animation ?
S.P. : Non, pas du tout. Bien sûr, je connaissais déjà de nom d’Arnaud Demuynck et sa société de production, Les Films du Nord. On avait aussi fait intervenir, dans le cadre de la Fête de l’Animation, un ancien de l’ESAAT (Ecole Supérieure des Arts Appliqués et du Textile) de Roubaix Gilles Cuvelier (réalisateur de Chahut). Il est vrai que tous ces professionnels ont constamment un pied dans chaque pays. Arnaud, par exemple, vit à Bruxelles, vient toutes les semaines à Paris et sa société est dans le nord de la France. Ce qui m’intéresse, c’est qu’un événement comme le Carrefour puisse provoquer des rencontres entre professionnels ou responsables d’école et qu’ensuite, ils puissent collaborer. J’espère, par exemple, que la table ronde, « Histoires animées franco-belges » que nous avons organisée avec différentes écoles d’animation françaises et belges créera des liens pour mener des projets communs. Certains liens existent déjà, surtout entre La Cambre et les écoles françaises mais c’est moins le cas pour le KASK qui sont un peu plus confidentiels alors qu'ils font des choses absolument extraordinaires. Je serais ravie qu’en ayant invité ce fabuleux département créé par Raoul Servais côté flamand, des échanges aient lieu avec nos écoles françaises.
C. : Votre programmation soutient la jeune création en présentant des films de fin d’étude (« les instantanés ») et des prototypes de jeux vidéos. Pourtant, cette production n’est pas représentée dans son ensemble. Pourquoi ?
S.P. : On ne peut pas tout passer. Il peut arriver qu’on considère que tel ou tel projet ait besoin d’un peu plus de temps pour être retravaillé. Nous en discutons avec l’école et mettons de côté le film pour l’année suivante. Néanmoins, sur 143 projets de fin d’études reçus cette année, 120 ont quand même été diffusés, ce qui est déjà beaucoup. Bien évidemment, certaines écoles ne nous présentent pas de films car elles n’imposent pas de réalisations de cinq minutes, avec générique, début et fin. À la place, elles nous proposent des exercices comme des animatics par exemple. C’est intéressant parce que la diversité tant dans les niveaux de formation et les méthodes d’enseignement, on la voit au résultat de ce qu’on projette. S’il y a une liberté à prendre et à donner, c’est bien dans ces écoles-là. Pendant cette période, ils auront la liberté et les moyens de créer.
C. : Est-ce que l’idée d’une programmation compétitive ne t’a jamais tentée ?
S.P. : Ça ne m’intéresse pas. Ce sont ces moments de rencontre entre professionnels, futurs professionnels et futurs étudiants que je recherche. Pour le Carrefour de l'Animation, j’ai envie de créer des petits concours, un concours de story-boards ou un concours autour du son par exemple, qui sera certainement une des grandes thématiques de l’année prochaine. Mais une compétition, non. Justement, ce projet a été conçu totalement à l’inverse de cette idée. J’ai toujours dit qu'il n'y avait pas une école qui ressemble à une autre ». Les écoles sont toutes très différentes, les méthodes d'enseignement et le coût de la scolarité, le nombre d’années varient d’une école à l’autre. En ce qui concerne les films, il n’y en a pas un qui ressemble à l’autre. D’ailleurs, il n’y a pas une promo qui ressemble à une autre !
Je pense qu’ouvrir le Carrefour à la compétition casserait cette dynamique. Je ne veux pas enlever cette liberté, surtout pas. Je laisse ça à des professionnels comme le festival d’Annecy et d’autres endroits. Par contre, créer de petites choses, de petits concours qui font partie de la pédagogie des étudiants à l’instar de ce qu’on a fait pour le CinéCo(h)le [le cinéma d’Emile Cohl, grand animateur français du vingtième siècle, vu par les écoles d’animation], ça c’est intéressant.
C. : Le CinéCo(h)le est effectivement un projet original permettant aux films non aboutis d’Emile Cohl (scénarios non réalisés, photogrammes de films perdus et fragments de films existants) d’exister. En confiant leur réalisation à des étudiants et non à des animateurs professionnels, cherchais-tu à prolonger le trait d’union, entre la jeune création et l’animation, revendiqué par le Carrefour ?
S.P. : Cette idée m’est venue quand nous avons décidé de faire une rétrospective des films d’Emile Cohl. Les écoles et les étudiants sont très contents d’avoir pu travailler sur un personnage aussi original qu’Emile Cohl. Ce n’était pas évident, parce qu'il s'agit d'un cinéma très particulier. J’ai proposé le projet à huit écoles, six l'ont développé. L'année dernière, nous avons présenté les premières esquisses. La date limite des travaux, les petits films, était fixée cette année, juste avant la présente édition. Les étudiants sont partis d’une liste de treize films appelés les films perdus d’Emile Cohl. Son petit-fils, Pierre Courtet-Cohl, qui est malheureusement décédé, avait retrouvé des fragments, des bouts de texte pour l’un, un petit photogramme pour l’autre, parfois rien. Les étudiants avaient donc très peu d'éléments pour se lancer. La seule contrainte qu’ils avaient, c’était de retrouver, à un moment donné, l’élément d’origine (un photogramme par exemple) dans la réalisation finale. Ils ont tout à fait respecté cette donnée. Voilà, ce projet est petit mais très intéressant. Il figure dans une initiative plus importante qui aura lieu en avril à la Cinémathèque française : la grande rétrospective autour d’Emile Cohl.
C. : En France comme à l’étranger (Meknès, Wissembourg, Bruxelles et Lille), tu as élaboré et présenté un panorama de films français de fin d’études. Comment conçois-tu cet accompagnement ?
S.P. : J’ai toujours encouragé la jeune création, donc ça me fait très plaisir lorsque je reçois la proposition de présenter ce vivier de talents à l’étranger. L’accompagnement de tous ces projets, de cette production considérable m’intéresse vraiment. Depuis plus de dix ans, je travaille autour de la jeune création. L'animation me passionne énormément. J’aime ces univers de création, de liberté, d’émotion.
C. : Pourrais-tu citer un film d’animation qui t’offre l’envie de continuer à donner du sens à la liberté et à la création ?
S.P. : Non, il est impossible d’en citer un en particulier. Si j'arrive à me laisser emporter par une histoire, que ce soit fait en pâte à modeler, en dessin, en papier découpé, en 3D, je m’en fiche un peu. Tout est question de sensibilité dans l'animation !