Cinergie.be

Table-ronde "Pas de quartier pour le ciné", au Kinograph

Publié le 30/06/2022 par David Hainaut / Catégorie: Dossier

Le futur des salles de cinéma abordé au Kinograph

Quel avenir pour les salles de quartier à Bruxelles, et même ailleurs ? Telle était la principale question que posait la sale de cinéma Kinograph, à Ixelles le dimanche 19 juin, lors d'une table-ronde bouclant ainsi son week-end de clôture. En effet, suite à des travaux, cette salle lancée en 2019 migrera dès la rentrée dans un endroit proche, bientôt dévoilé.

Modérée par Gaëlle Moury du  journal Le Soir, par ailleurs bénévole pour le Kinograph, cette fructueuse rencontre réunissait Baptiste Charles, Conseiller Cinéma et Nouveaux Médias du cabinet de la Ministre de la Culture Bénédicte Linard, Catherine Lemaire, représentante d'un collectif (La Fourmilière) repensant la salle de cinéma, Thibaut Quirynen, le co-fondateur du Kinograph, et Samira Zaibat, qui œuvre pour un projet de cinéma itinérant à Forest, le Mouv. 

 

À l'heure où les salles traversent une phase de transition sans précédent historique, qui plus est dans un pays souffrant encore d'un manque d'écrans face à tous ses voisins, il était bien naturel de s'intéresser à ce rendez-vous évoquant l'avenir des cinémas, organisé dans l'un des derniers-nés de la corporation, le Kinograph, à Ixelles. "Peu d'endroits songent à parler de ce thème important. C'est donc une bonne chose de le faire ici! ", dira d'ailleurs Baptiste Charles, l'un des quatre intervenants.

 

© Pierre-Yves Jortay

 

L'importance d'un cinéma proche de chez soi 

En récupérant en avril 2019 une salle de trois cents places qui a autrefois servi aux officiers de police, le Kinograph a gagné son pari en à peine trois ans. Car situé dans un espace « temporaire » (le SeeU) et donc destiné à être démoli - à l'instar de tous les bâtiments qui l'entourent - ce cinéma subsistera finalement, autour de logements estudiantins de ce quartier situé entre les deux universités de la capitale, l'ULB et la VUB. Par les temps qui courent, on peut parler d'un bel exemple, à plus d'un titre.  

Thibaut Quirynen, cocréateur de ce cinéma, a d'ailleurs rappelé quelques clés de sa réussite. "L'élément principal, c'est la proximité. On voulait un cinéma à Bruxelles en dehors du centre-ville, déjà bien fourni. Avec l'idée que cette salle soit un moyen d'amener une vie de quartier et que des gens puissent se rencontrer. Car quand un cinéma est près de chez soi, sachant que des gens y vont trois fois par semaine, ne pas avoir quarante minutes de transport fait tomber les barrières. Et enfin, on fonctionne avec un modèle transversal : ce n'est pas une personne inconnue qui fait la programmation, mais les gens qui vendent les tickets et les boissons. Même un spectateur peut nous donner une idée de film ! En proposant des choses pour le public plutôt que pour soi, on a parfois des surprises. Si ici, un film de Quentin Dupieux fonctionne aussi bien qu'un Fils de Ploucs, des classiques comme La Haine ou Akira ont aussi fait salle comble."

Le cinéma, bien plus qu'une salle 

Catherine Lemaire, qui peut se targuer d'une longue expérience dans l'exploitation, complète : "Ce que décrit Thibaut, c'est une façon de créer un nouvel écosystème. Autour d'un cinéma bien sûr, mais aussi d'une brasserie qui, même si cela peut sembler basique, structure une soirée. Aujourd'hui, on peut voir le cinéma au-delà de la simple exploitation d'un film. Par exemple, en nouant des liens entre exploitants et programmateurs ou en permettant de la post-production dans des moments creux, comme peuvent l'être les après-midi. Ainsi, des cinéastes, des monteurs et des techniciens viennent, et tout ce monde se croise et apprend à se connaître. C'est aussi comme ça qu'on crée un ancrage supplémentaire". "Exactement!", poursuivait Quirynen. "Nous, la journée, on mutualise notre salle grâce à des cours d'université, ce qui réduit nos charges. La salle, qui n'est jamais qu'une boîte noire avec un écran, on peut la voir comme un lieu de vie. C'est tout ce qui est construit autour d'elle qui est intéressant." 

 

© Pierre-Yves Jortay

 

De nouvelles aides pour les exploitants

Le lien social qu'offre le cinéma, les rencontres, le confort, une éditorialisation de contenus amenant le public à aller voir des films les yeux fermés, sont quelques aspects soulignés par Baptiste Charles, le Conseiller de la Ministre de la culture. "Le circuit-court, dont on parle tant dans la société, c'est valable tant pour l'alimentation que pour la culture. Je crois en la réappropriation de la culture par les citoyens. Et sous forme de coopérative (NDLR : le Kinograph en est une), c'est toujours pertinent. Raison pour laquelle le Ministère lance de nouvelles aides pour soutenir de ce type de salles, dans l'espoir de les voir se multiplier. Ce ne sont peut-être pas des sommes monumentales, car elles vont de 7500 (un à deux écrans) à 15000 euros (plus de deux), mais c'est une manière de tendre la main".

(Re)donner l'habitude aux spectateurs

En marge d'un nouveau projet de cinéma itinérant, et dans l'attente de la relance du mythique cinéma Moovy (ayant fermé ses portes en 1975, celui-ci doit rouvrir dans quelques années), Samira Zaibat consacre dans sa commune Forest – orpheline de cinéma - un certain temps pour offrir un meilleur accès à la pratique du cinéma à la population. "Sans public, c'est simple, le cinéma n'existe pas ! Il faut donc (re)donner aux gens l'habitude d'y aller. Et c'est possible. Il y a quelques temps, pour une séance spéciale, on a travaillé sur Un Monde, de Laura Wandel. Et bien le film a tellement fonctionné qu'on a dû refuser des gens !", a-t-elle indiqué.

« Le cinéma n'est plus la première sortie culturelle »

La discussion a ensuite porté sur les désormais incontournables plateformes qui, comme nous a récemment confié Philippe Reynaert, "ont gagné cinq ans de développement grâce au COVID". Ce que Quirynen confirmait : "C'est la cible des jeunes parents qui a surtout été visée, elle qui trouve plus facile de consommer de la VOD à la maison avec leurs enfants". Tout en atténuant : "Netflix vient d'accuser son premier recul, licencie, et vient d'annoncer son arrêt de productions de films indépendants, à quelques exceptions près. Car ils estiment que leur socle reste les séries, quitte à en faire moins mais de plus importantes, comme Stranger Things. Après, on doit bien constater que dans la société actuelle, le cinéma est relégué derrière les séries et même les jeux vidéo. Un film n'est plus que rarement le sujet de discussion près de la machine à café au travail ou dans un dîner de famille. On parle plutôt de la dernière série à la mode. Le cinéma n'est donc plus la première sortie culturelle, comme ça a longtemps été le cas."

Le (fameux) manque d'écrans en Belgique

"En Belgique, et ce n'est pas neuf, il n'y a pas assez de salles et d'écrans", tenait à rappeler Lemaire. En ajoutant : "On est sous la moyenne européenne. Regardez Bruxelles, vous avez des cinémas dans le centre, ici ou au Stockel, et puis, plus rien ! Et c'est bien pire dans certaines parties de territoire j!" Quirynen a alors fait écho au modèle hollandais: "Là-bas, on observe la taille des villes et à partir du nombre d'habitants, on aide à la construction de salles. C'est hyper vertueux. Car le nombre d'écrans, c'est capital!". "Et tout ça a été créé en 20 ans!", lui renchérissait Lemaire. Ce qu'a confirmé Bruno Parent, responsable chez l'un des principaux distributeurs du pays (Cinéart) et présent dans la salle ce dimanche-là. "Comme société indépendante mêlant films d'auteurs et commerciaux, le parc de salles des Pays-Bas nous convient mieux. Car leur réseau est bien plus étendu. Ça a commencé à Amsterdam, puis ça s'est développé ailleurs au début des années 2000, avec une fréquentation qui n'a fait qu'augmenter jusqu'en 2019. Et en ce moment, ils sont en train de retrouver des audiences d'avant-covid ! Chez nous, reconnaissons qu'à de rares exceptions près, comme à Liège ou à Namur, le tissu n'est pas très large..." 

 

© Pierre-Yves Jortay

Cineville, la nouvelle carte de fidélité

Redynamiser la fréquentation en salles, au-delà des quelques locomotives américaines à gros budget, tel est l'objectif de la carte de fidélité Cineville, dont profiteront bientôt les cinéphiles pour à peine 21 euros par mois (18 pour les moins de 26 ans), avec un accès illimité, comme cela se fait depuis longtemps à l'UGC. À Bruxelles, les Galeries, le Palace, le Kinograph et le Vendôme sont déjà partants, et d'autres devraient les rejoindre. Là encore, les Pays-Bas ont servi de modèle. "Une cinquantaine de cinémas hollandais indépendants acceptent cette carte depuis 2009, et c'est un succès", détaille Quirynen. "Avec 55 000 abonnés, qui vont en moyenne trois fois dans une salle chaque mois. Certaines salles sont parfois remplies d'une moitié d'abonnés ! D'autre part, en Belgique, une fédération indépendante de petits cinémas est en train de se constituer. Sous forme de coopérative là aussi, en vue d'augmenter la fréquentation, de rajeunir le public et de diversifier les films. C'est une autre dynamique à laquelle on croit beaucoup." Et Lemaire d'ajouter :  "L'accessibilité et des tarifs bas, c'est aussi important. Certains prix sont parfois trop élevés pour beaucoup de gens. Cette carte sera positive pour les habitué.e.s et le jeune public. Elle aura d'office un impact, comme elle en a eu un chez nos voisins". 

Et si les centres culturels avaient un rôle à jouer ? 

Et à la question pertinente d'un spectateur quant à l'implication éventuelle des centres culturels pour diffuser des films récents, Lemaire répliquait. "C'est vrai que si les centres culturels ne programment pas de films à l'affiche, leur réseau est important et ces endroits bénéficient d'équipements de projection en général suffisants. Face à la masse de films qu'il y a sur le marché et une pression toujours plus grande, les films sortent plus vite de l'affiche qu'avant. Quelqu'un qui ne voit pas le dernier Bouli Lanners (NDLR : L'Ombre d'un mensonge) après quelques semaines par exemple, il ne sait plus où le voir. Et bien récemment, un centre culturel (le Jacques Frank) l'a remis pendant un mois, et il a drainé un large public. C'est un système qui mérite d'être développé, car il pourrait y avoir une nouvelle économie aussi autour de ça." En voilà une bonne idée...

Quant au Kinograph, qui proposera cinq films en plein air d'ici la fin août, il se déplacera donc - le temps de travaux de désamiantage de sa salle, qui dureront trois voire quatre ans -, vers un autre lieu dans les environs, dès la rentrée. Tout en proposant quelques films à l'ULB (Salle André Delvaux) et à la Tricoterie à Saint-Gilles. Avant donc, de revenir aux anciennes casernes d'Ixelles avec, potentiellement, une deuxième salle dans son sous-sol. Affaire à suivre, donc !