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Financement de l’animation Made in Belgium : Faut-il crier Panique au village?

Publié le 04/06/2024 par Kevin Giraud / Catégorie: Dossier

Alors que le festival de Cannes s’achève à peine, le prochain grand rendez-vous du cinéma aura lieu sur les bords du lac d’Annecy, pour la 48e édition du prestigieux festival international du cinéma d’animation. Pourtant, rares sont les médias belges qui feront le déplacement en compagnie de la centaine de professionnels francophones et flamands pour qui c’est un rendez-vous incontournable. Derrière ce manque d’engouement de la presse se cache en fait un constat quelque peu amer : le cinéma d’animation made in Belgium peine à exister, faute de financements adéquats, et ce malgré un public bien souvent au rendez-vous. Car c’est un fait, dans une industrie où la série et le long-métrage sont les caisses de résonance les plus fortes, la Belgique peut compter ses accomplissements animés de ces dernières décennies sur les doigts de la main. Notre pays n’a-t-il pas les épaules pour ce type de productions majoritaires, ou bien est-ce une question plus complexe?

Au travers de ce dossier, et avec l’aide de professionnels du secteur, nous tentons de donner quelques clés pour comprendre ce qui coince dans l’industrie du cinéma d’animation Made in Belgium, pourtant riche en talents et en potentialités.

Financement de l’animation Made in Belgium : Faut-il crier Panique au village?

1. Au commencement est le Centre du Cinéma

C’est de notoriété publique, ou presque. Comme tout bon projet belge francophone de souche ou de cœur, la case Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel est le point de départ quasiment incontournable pour tout projet d'animation belge en devenir. De ces aides - écriture, développement, production - convoitées découlent ensuite les accords de coproduction, les fonds régionaux, le soutien des diffuseurs, les préachats et in fine l’existence elle-même du film. Seulement voilà, au petit jeu de la recherche de financements, l’animation peine parfois à se faire soutenir. Soit, car elle est méconnue de la part des professionnels responsables de cette attribution du Graal financier ; soit, car elle est régulièrement, d’après les voix conjointes du secteur, sous-estimée au regard de son rayonnement national et international ; soit enfin, car elle s’adresse à un public plus jeune ou familial, avec toutes les conséquences que cela peut induire.

Avant toute chose, rendons à la Commission de sélection ce qui lui appartient : du côté du court-métrage, l’animation jouissait en 2023 d’un meilleur taux de soutien (23,53%) que la moyenne des projets déposés (20,25%)[1]. Une perspective heureuse, qui s’évanouit lorsqu’on se tourne vers les secteurs bien plus dotés de la série et du long-métrage. Là, malgré l’impulsion et le travail des équipes de Jeanne Brunfaut depuis plusieurs années, bien rares sont les projets qui arrivent jusque sur les bancs de la Commission. Un organe qui, sans manquer de bonne volonté et du dire de certains professionnels eux-mêmes membres de la Commission, se retrouve parfois démuni face à ces propositions dont ils ne maîtrisent pas forcément le langage. Car financer un projet d’animation implique des montants bien différents de ceux d’un projet en prises de vues réelles, et des processus bien distincts. Et même si le Centre du Cinéma a, depuis quelques années, pris conscience des besoins spécifiques de l’animation, cette prise de conscience ne suffit pas encore à permettre l’émergence de grands projets, pour lesquels un soutien à un plus haut niveau est nécessaire - entendez par là, une vraie volonté politique, encore trop balbutiante. En résultent des moyens qui ne sont pas forcément accessibles, et qui compliquent très fortement la production majoritaire d’animation en Belgique francophone aujourd’hui. Le résultat est sans équivoque : sur 83 projets de longs-métrages soutenus en 2023, quatre seulement sont des longs-métrages d’animation. Un majoritaire, et trois minoritaires, soit un peu moins de 5%[2].

En Belgique, c’est limpide, les outils de financement ne sont pas taillés pour l’animation. Un constat que rejoignait l’année dernière l’Union des producteurs de films francophones, dans une note conjointe rédigée à l’attention du Centre du Cinéma. Dans ce projet porté par de nombreux représentants du secteur de l’animation belge, dont l’A.B.R.A.C.A., Association Belge Regroupant les Auteur⸱ice⸱s et Créateur⸱ice⸱s de l'Animation, les signataires évoquent une méconnaissance du secteur et enjoignent le Centre du Cinéma à considérer l'animation belge comme un secteur à part entière, nécessitant des aides et des procédés spécifiques autant du côté du long-métrage que de la série. Une discussion tout à fait bienvenue, alors que le Fonds Séries subit actuellement un remaniement notable en collaboration avec les diffuseurs principaux que sont RTL et la RTBF. Affaire à suivre, si tant est que cela puisse être entendu avant le 9 juin.

Cela étant dit, même si on ose espérer un tant attendu alignement des planètes pour l’animation belge, il est certain que le problème de notre plat pays restera la taille de son marché. Jamais les diffuseurs et distributeurs belges ne pourront soutenir l’animation avec des montants cohérents et adaptés par rapport à son coût de fabrication, contrairement à la France dont le nombre d’habitants représente cinq fois celui de la Belgique, quinze fois celui de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

“En attendant”, nous évoquait donc Anne-Laure Guégan, productrice de Melvile, seul long-métrage d’animation majoritaire soutenu par le Centre du Cinéma en 2023, “il faut aller chercher l’argent ailleurs.  En ce qui concerne le long-métrage d’animation, la coproduction est indispensable. Tous les producteurs européens le savent. Pour produire des films belges [majoritaires, NDLR], nous avons besoin de financements qui nous permettent de faire le poids dans la structure de production.” Avec tous les risques que cela comporte, en termes de structure de production

2. “La Belgique ? Un pays de prestataire”

Entendue dans les allées des foires internationales, cette phrase nous a été rapportée par plusieurs professionnel.le.s du milieu, avec un sourire quelque peu amer. Un constat qui est intrinsèquement lié aux problématiques soulevées plus haut.

Il est vrai que la Belgique recèle, au travers de ses nombreux guichets communautaires, régionaux et nationaux, de juteuses opportunités de coproduction. Et c’est le Tax-Shelter qui est le plus souvent cité par les producteurs étrangers, mécanique certes complexe pour les non-initiés, mais qui permet, si elle est bien utilisée, de récolter plus ou moins 45% des dépenses éligibles d’une production européenne[3]. Mais cette situation très attractive entraîne également un déséquilibre au niveau des projets, limitant grandement la production de contenus belges majoritaires tout en impactant les projets qui voient le jour en Belgique francophone.

Car, si l’on s’en réfère au bilan du Centre du Cinéma toujours, pour qui le coût moyen d’une série d’animation et de 5,4 millions d’euros[4], il existe bien peu de sociétés belges ayant les moyens de lever une part majoritaire de ce budget sur notre sol. Et malgré tous les guichets existants, les montants sont trop faibles. Dès lors, c’est au travers de coproductions minoritaires étrangères que ces studios, petits et grands, survivent. En attendant le moment fatidique où un de leurs propres projets pourra voir le jour. Une situation qui nuit au secteur dans son ensemble, et favorise la fuite des jeunes talents. Car lorsqu’on a été soutenu pour son court-métrage et encensé en son pays, il est difficile de résister aux sirènes étrangères alors qu’un plafond de verre s’installe brutalement au-dessus de notre horizon. Et rares sont les artistes qui arrivent à le dépasser chez nous, malgré leur notoriété internationale. Parmi ceux-ci, le duo Patar-Aubier fait figure d’exception, rejoint depuis peu par les réalisateurs de Yuku et la Fleur de l’Himalaya, Arnaud Demuynck et Rémi Durin. Un succès national et international (plus de 100.000 entrées en France en 2022[5]), obtenu au prix de nombreuses tribulations et après de nombreux courts-métrages à succès.

Comment tirer son épingle du jeu, dès lors? Faute d’aides suffisantes, le Belge a bien sûr plus d’un tour dans son sac, et quelques “systèmes D” ont su émerger, souvent avec une teinte bien de chez nous dans leur mode de fonctionnement.

3. Travailler à la marge, la solution?

C’est le cas de nWave notamment, qui emploie discrètement à Forest plus d’une centaine d’animateur.ices sur ses productions annuelles. Et ça marche! En 2023, Les Inséparables a rassemblé plus de 61.000 spectateur.ices dans les salles de cinéma belges[6], un chiffre en réalité encore plus grand étant donné que le film est sorti le 20 décembre et a poursuivi sa carrière d’exploitation en 2024. En comparaison, les 14.000 entrées d’Augure, meilleur score pour un long-métrage en prises de vues réelles soutenu par la Commission, questionnent.

Au sud du pays, les studios d’animation comme Dreamwall travaillent également avec des modèles différents, adaptant ou coproduisant à l’international séries et longs-métrages animés, grâce au Tax-Shelter notamment, mais aussi à Wallimage, fonds régional bien connu des producteur⸱ice·s francophones. Avec le risque de n’être au final, comme on l’a dit plus tôt, que des prestataires ouvrant l’accès à des mécanismes belgo-belges tels que le Tax Shelter, très intéressant pour des grosses productions européennes.

Enfin, après une longue et astucieuse construction, la productrice Viviane Vanfleteren (Vivi Film) tire elle aussi son épingle du jeu en récoltant, au travers d’un trio de structures implanté dans les trois régions, à maximiser le financement de ses projets. Mais ce “patchwork” malin reste fragile, à l’instar des autres échafaudages qu’on a pu évoquer jusqu’ici.

4. Espoir(s) et préjugés

Est-il donc impossible d'envisager la production majoritaire d'animation en Belgique francophone? Au tournant de cette législature, un vent nouveau semble souffler dans le secteur. Le même qui s'est élevé pendant cette édition cannoise où l'animation - déjà auréolée l'année dernière - se taille désormais une place de plus en plus grande. L'A.B.R.A.C.A. compte chaque mois plus de membres tant francophones que néerlandophones, tandis que de jeunes producteur·ice·s prennent à bras le corps la représentation du secteur auprès des associations professionnelles et des institutions. Parmi les pistes de réflexion évoquées, le modèle français inspire, comme souvent, avec les limites évoquées plus haut. “Un des problèmes majeurs de la production de longs-métrages d’animation en Belgique est le financement du développement”, souligne Anne-Laure Guégan. “Celle-ci a un coût trois fois supérieur à un film en prises de vues réelles, ne serait-ce que parce que la réalisation d'un pilote est absolument nécessaire pour trouver de l'argent en dehors de notre territoire. Mais en Belgique, ni les régions ni le Tax-Shelter ne peuvent financer ce développement. À ce jour, seuls le Centre du Cinéma de la FWB et la RTBF le font. Contrairement à nos voisins français par exemple, dont les fonds régionaux prévoient des aides au développement, car ils ont bien compris que c'est en soi un secteur économique qui dynamise l'emploi en région.” À noter que le Centre du Cinéma (CNC) prévoit également des aides au pilote, en plus des aides au développement. Une réflexion qui mérite d’être développée chez nous, si l’on souhaite que l’animation belge se retrouve plus régulièrement sur les tapis rouges et dans les salles obscures.

 

Mais pour qu'une industrie du cinéma puisse réellement fleurir, il faudra que les politiques, les professionnels, mais aussi la presse s'emparent de ce récit. Car s'il est bien un secteur qui a la cote auprès du grand public, et qui pourrait faire renouer le Belge avec son cinéma, c'est bien celui de l'animation. Et force est de constater que pour le moment, hormis la grand-messe nationale du festival Anima, c'est toujours la panique au village.


[1] Bilan du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel 2023

[2] Bilan du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel 2023

[3] Source : https://www.animationineurope.eu/animation-in-belgium/

[4] Bilan du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel 2023

[5] Bilan du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel 2022

[6] Bilan du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel 2023