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Bilan du Centre du Cinéma 2021

Publié le 05/05/2022 par David Hainaut / Catégorie: Dossier

Le cinéma belge francophone veut continuer à se diversifier

Incontournable rendez-vous annuel de l'industrie belge francophone, le Bilan du Centre du Cinéma s'est tenu le 29 avril dernier à Bruxelles, au Cinéma Palace, où, en plus des interventions habituelles de sa directrice Jeanne Brunfaut et de la ministre de la culture en fonction (Bénédicte Linard), la parole a pour la première fois été donnée à Tanguy Dekeyser, nouveau responsable des coproductions des films et séries belges, à la RTBF.

Bilan du Centre du Cinéma 2021

Symbolique. Alors que l'un des objectifs actuels du Centre du Cinéma et de l'Audiovisuel (CCA) est de faire revenir le public en salles, c'est dans un cinéma (le Palace) quasi plein - et non-masqué - que s'est tenu le traditionnel bilan du principal organe du 7e art en Belgique francophone. Un moment en compagnie des professionnels du secteur qui, chaque année, permet de rendre compte de l'état de notre écosystème audiovisuel, et rappeler les moments-clés de l'année écoulée. Ainsi, en cette année 2021 à nouveau marquée par la crise sanitaire, le Centre du Cinéma, disposant d'une enveloppe de 35 millions d'euros, a mentionné cinq faits et événements : la poursuite de son «Plan de Relance» (près de 3 millions supplémentaires apportés au secteur durant la pandémie), la mise en place d'un autre (le "Plan Diversité"), une édition du Festival de Cannes historique, l'entrée en vigueur d'un règlement favorisant la création locale – en l'occurrence, le décret "SMA" (Services de médias Audiovisuels) – et enfin, la première organisation en Belgique des rencontres de coproductions francophones. Le tout, pour un Centre du Cinéma disposant d'une enveloppe de 35 millions d'euros.

Redynamiser les salles de cinéma

Pendant près d'une heure, Jeanne Brunfaut a passé en revue ces faits marquants, rappelant que la Fédération Wallonie-Bruxelles (dont le Centre du Cinéma dépend) a été, lors de crise sanitaire, l'une des premières instances européennes à mettre en place un fond de garantie pour les (nombreux) tournages en Belgique. Ce qui a permis d'assurer leur maintien et éviter des faillites en cascade. Le Centre du Cinéma est revenu sur son opération de promotion J'peux pas, j'ai cinéma qui, en vue de redynamiser les salles de cinéma, sera réitérée vers septembre pour une troisième édition. "Trente cinémas y ont participé, soit dix de plus qu'en 2020, nous valant des retours positifs de spectateurs, tant dans la découverte de films que de lieux", a précisé la directrice, en mettant l'accent sur l'importance des cinémas de proximité.

Concernant le Plan "Diversité", le CC a rappelé ses initiatives (coaching individuel, conférences, formations, jurys mixtes...) assurant le processus de cette vaste réflexion, aussi bien pour les personnes derrière que devant la caméra. "Désormais, pour déposer un dossier de financement, les créateurs doivent remplir une fiche au préalable, avec le but d'au moins susciter un questionnement. Un système qui a fait ses preuves dans bien d'autres pays", a-t-elle précisé.

La Belgique, un modèle de financement pour ses films

Comme toujours, le bilan a détaillé la manière dont se financent les films belges. Sur les 16 longs-métrages majoritairement francophones produits en 2021 (sur 51 au total, en incluant les coproductions), les trois principales sources restent l'inévitable incitant fiscal qu'est le tax shelter (37% du financement d'un film), la Fédération Wallonie-Bruxelles elle-même (30%) et les sociétés de production (10%). La petite nouveauté se situe du côté des Fonds Régionaux (Screen Brussels et Wallimage) qui, avec 7%, s'immiscent dans ce quatuor de tête. De quoi attester une complémentarité qui fait de la Belgique un modèle international en la matière.

Des œuvres belges qui ont par ailleurs récolté d'excellents résultats auprès des instances européennes de financement. Bientôt projetées à Cannes, Tori et Lokita (Luc et Jean-Pierre Dardenne), Dalva (Emmanuelle Nicot), Close (Lukas Dhont) et Rebel (Adil El Arbi et Bilall Fallah) en ont bénéficié, ainsi que, pour la première fois, une série (Des Gens Bien), issue du trio de La Trêve. Un Fonds Séries qui reste actif. Car après les diffusions de Coyotes, Baraki, Pandore et Fils de (en ce moment) et les tournages (en cours) d'Attraction et d'Ennemi Public 3, une quinzaine de projets sont en développement. "Ce Fonds a fait ses preuves. Il conviendra à présent de voir comment l'adapter à l'environnement audiovisuel dans lequel on baigne", a commenté Brunfaut.

Toujours plus d'opportunités pour les créateurs

À propos du plus récent "Fonds à Conditions Légères", créé pour donner un coup de pouce aux premiers longs-métrages et qui a vu émerger Aya (Simon Coulibaly Gillard), Fils de Ploucs (Harpo et Lenny Guit), Losers Revolution (Thomas Ancora et Grégory Beghin), Une Vie Démente (Raphaël Balboni et Ann Sirot) ou Juwaa (Nganji Mutiri), le montant de base a été réévalué (125 000 euros, au lieu de 100 000) après concertation avec le secteur. Sept films de ce guichet sont terminés, sept autres vont bientôt se tourner et cinq sont en écriture. Le nouvel appel à clips (13 projets soutenus) a lui été un vif succès. Faisant dire à Brunfaut : "Chacun se rend compte que les frontières entre les systèmes d'aides sont de plus en plus poreuses. Que tout cela bouge beaucoup, qu'il y a plus de ponts entre les disciplines. Ce qui enrichit tant les contenus que les formats".

"Un Monde" (Laura Wandel), leader de l'année en nombre d'entrées

Par rapport à la carrière des films belges en salle, si le CC se targue d'une augmentation de fréquentation globale de 45%, il rappelle que seuls 10 longs-métrages ont pu sortir en 2021, contre 21 l'année précédente. Un Monde (Laura Wandel, 20 888 entrées en Belgique) truste la première place, devant Les Intranquilles (Joachim Lafosse, 18 369), Space Boy (Olivier Pairoux, 15 047), Une vie démente (6316) et Des Hommes (Lucas Belvaux, 5919). Des chiffres qu'a commentés Jeanne Brunfaut comme suit : "En observant les scores de réalisateurs étrangers confirmés, on remarque que nos films tirent très bien leur épingle du jeu. Julie (en 12 chapitres), primé à Cannes, a récolté 20 141 entrées, soit à peine plus qu'Un Monde, qui est un premier film belge ! Et ce dernier a réussi à faire mieux que ceux d'Asghar Farhadi (Un Héros, 13 000 entrées), de Xavier Giannoli (Illusions Perdues, 11 000) et de Jacques Audiard (Les Olympiades, 7400). Donc oui, contrairement à une idée reçue, le public belge va voir ses films !".

Des films belges qui assurent leur visibilité à l'étranger : Space Boy a par exemple été vendu à 16 territoires, Un Monde à 13 et Les Intranquilles à 10. Sans bien sûr oublier les festivals (1664 sélections, 306 prix) et les performances d'Une vie démente (42 sélections, 16 prix) et de Fils de Plouc (30 festivals, 5 prix). "Et en documentaire, Les prières de Delphine (Rosine Mbakam) a fait une magnifique carrière, comme Juste un mouvement (Vincent Meessen), Kinshasa Now (Marc-Henri Wajnberg) et bien d'autres. Idem pour le court-métrage : citons le trio de tête, T'es morte hélène (Michiel Blanchart, 70 festivals, 28 prix), qui est en présélection pour les Oscars, Sprotch (Xavier Seron, 59, 5) et l'animation Hold Me Tight (Mélanie Robert-Tourneur, 58, 8)."

Des plateformes forcément incontournables

En guise de conclusion, Brunfaut s'est dit réjouie, en restant nuancée : "Il y a encore du pain sur la planche. Si les systèmes de soutien public fonctionnent et que notre industrie est efficace, créative et fait émerger des films dans de grands festivals – Cannes 2022 va même nous emmener un cran plus loin -, bien d'autres enjeux nous attendent. Notamment autour de l'implication des plateformes (Amazon, Disney, Netflix...), qui pourraient devenir de vrais partenaires. Le lien avec la RTBF aussi, pour diversifier les contenus et les genres. On doit continuer à chercher des gens en dehors du circuit, raison pour laquelle on poursuit le travail autour de la diversité. Puis, faire revenir les spectateurs en salles, en ces moments de frilosité. Le Centre du Cinéma travaille activement dans ce sens-là"

La RTBF, en quête de comédies, veut "starifier" les talents belges

Signe du lien existant avec la RTBF, ce bilan a donné la parole à Tanguy Dekeyser, entré en fonction sur la chaîne publique le 1er mars dernier, après seize ans chez Proximus. où il avait en charge les acquisitions et les coproductions. C'est désormais lui qui gère les coproductions en cinéma et séries d'initiative belge à la RTBF. Celui-ci a d'emblée rappelé l'importance du Fonds Séries. "Via ces séries, on a envie de continuer à aider nos auteurs. Et on espère ne pas être les seuls à le faire ! On veut aussi aborder d'autres formats et d'autres styles, plus orientés vers la comédie, le genre, le décalé, le déjanté, même. L'ancrage belge reste primordial, ce qui n'empêche pas d'avoir des ambitions internationales." Une chaîne qui, si elle ne commande pas (encore?) de contenu, reste surtout présente dans l'accompagnement et l'aide au développement. "Et on voudrait starifier plus nos talents. Que les comédiens belges ne doivent plus nécessairement devenir français pour être reconnus par notre public.".

Dekeyser, enchaînant : "Chacun sait que RTBF diffuse une semaine de cinéma belge chaque année, mais on réfléchit à dupliquer l'idée autour d'autres événements (21 juillet, Fête de la Fédération Wallonie-Bruxelles, etc...)" Décloisonner les genres fait également partie de ses souhaits. "On aime avoir une vision à 360 degrés. Quand un créateur a une bonne idée en tête, il faut voir comment la matérialiser au mieux. Car une idée peut aussi bien devenir une série, qu'un documentaire ou un long. L'idée, c'est de mélanger l'art et la culture sous toutes ses formes. Et que, comme l'a indiqué le Centre du Cinéma, les disciplines se mélangent."

Toucher davantage de public(s)

Comme le veut la tradition, c'est la ministre de la culture, Bénédicte Linard, qui a ponctué la petite série de pitchs. Soulagée de voir la crise toucher à sa fin, la native d'Ottignies a évoqué son désir de renforcer durablement le paysage belge francophone, et que celui-ci touche plus de public(s). "On sait que notre monde est sans cesse bouleversé. Mais la crise nous a rappelé l'importance du rôle de la culture !", a-t-elle dit. La ministre a détaillé trois de ses principaux chantiers du moment. D'abord, la mise en œuvre de l'obligation de production de ce désormais fameux décret SMA. "Pour que tous les éditeurs visant notre territoire, locaux ou internationaux, soient amenés à contribuer financièrement. On a beaucoup travaillé là-dessus, notamment sur le taux de contribution à la production de leur part. Là, on en est au stade où le CSA doit remettre son avis, sur la proposition du secteur. On prendra ensuite une décision."

"Le secteur culturel, un exemple dans l'éveil des consciences" (Bénédicte Linard)

Ensuite, la ministre a (ré)abordé le Fonds Séries. "Créé en 2013, c'est un outil qui soutient nos productions et nos créateurs, dont il sort de nombreux projets de qualité. Mais vu l'évolution du paysage, cela doit être revu. On doit passer à la vitesse supérieure, face à la nouvelle configuration locale et internationale. Plus généralement, l'idée serait de s'ouvrir à de plus larges formats, à d'autres genres, de revoir les plafonds d'aide. Et d'offrir un cadre structurant dans l'accompagnement. Là aussi, on est en concertation avec les représentants du secteur, pour répondre au mieux à leurs besoins".

Enfin, la ministre est aussi revenue sur la RTBF, plus que jamais présente dans le paysage, via ses trois chaînes de télévision et le web (Auvio). "Des travaux sont en cours pour revoir le contrat de gestion, pour les années 2023 à 2027. Un processus va être défini pour établir le rôle de la RTBF en matière de soutien à la culture. Dans cette optique, on a mis sur la table une augmentation des apports de la RTBF pour les producteurs indépendants, avec 9 millions en plus à l'horizon 2027. Enfin, la membre d'Ecolo a rappelé les importants enjeux de la diversité ("Même s'il y a une évolution pour les femmes, on doit encore faire plus pour atteindre l'égalité") et de la durabilité : "Suite au dernier rapport du GIEC, le milieu culturel doit continuer à se responsabiliser sur de son empreinte énergétique comme il le fait. Car ne perdons pas de vue que ce secteur sert d'exemple dans l'éveil de toutes les consciences, et qu'il aide à mieux penser au monde de demain!"

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