Derrière la sonorité rugueuse de Tagebau Garzweiler se cache l'une des plus vastes mines à ciel ouvert d'Allemagne. Un gisement de lignite s'étendant sur plusieurs dizaines de kilomètres carrés, exploité par un géant de l'industrie au profit d'une production énergétique parmi les plus polluantes d'Europe. Un gigantisme qui se passe de mots, porté par des images et des sons récoltés par le réalisateur Denis Deprez.
Tagebau Garzweiler de Denis Deprez
Filmé à distance d'un seul point de vue, les dimensions dantesques du lieu et des machines qui l'habitent rappellent les imageries de science-fiction. Une plaie béante exploitée par des moissonneuses d'acier aux bras énormes qui s'élancent vers le ciel, réduisant à l'état de fourmis les massifs camions miniers qui la nourrissent et récupèrent son précieux butin. Par l'œil de la caméra et par l'oreille des microphones captant les sons cyclopéens du puits, le spectateur ne peut que supposer la taille réelle de ces monstres de métal, dans ce décor peuplé de mécaniques où rien n'est à la mesure de l'homme. La nature meurtrie reprend peu à peu ses droits sur les anciens sites miniers, tandis que tremblent les zones bientôt dévorées par la mine qui continue à s'étendre.
Moteur de cette exploitation, l'humain en subit tout autant les conséquences qu'il en retire les bienfaits, selon le point de vue. Une problématique que nous illustre habilement le réalisateur, parcourant les villes déjà fantômes en cours de démolition, et les villes nouvelles créées de toutes pièces pour reloger les populations déplacées. Derrière le calme apparent et la tranquillité de l'hiver à Immerath se cache un village en perdition, déjà condamné par la créature gargantuesque qu'est la mine. Un homme et son chien semblent être les derniers rescapés de cet exode, parmi les restes de ce paysage déjà contaminé par la rouille et les machines. De l'autre côté du voile, la nouvelle ville qui émerge au travers du regard du cinéaste semble dépourvue de son âme, comme si elle pansait encore les traumatismes et les cicatrices de ses habitants. Le tout, semble-t-il nous dire, pour nourrir la Bête. Ces deux centrales thermiques, géantes paisibles d'acier et de béton semblent tout aussi désintéressées que leur congénère du sort des êtres qui lui donnent la vie.
Dépourvu de militantisme apparent, le film de Denis Deprez dépeint sans artifice la vérité crue d'un monde de machines. Un monde malheureusement au-delà de la fiction, et résolument ancré dans la réalité d'une face sombre de notre humanité.