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Teghadez Agadez de Morgane Wirtz

Publié le 16/09/2020 par Lucien Halflants / Catégorie: Critique

Agadez, Niger, est la capitale des passeurs, une dernière étape sur la route migratoire de l’Afrique Noire avant la Libye ou le Maghreb, soit avant de pénétrer dans l’illégalité, l’hostilité et l’insécurité. C’est à cet endroit précis que Morgane Wirtz – journaliste et réalisatrice du film - choisit de poser sa caméra afin de capter les flux incessants et vitaux d’êtres blessés mais portés par un espoir immense.

 

Teghadez Agadez« Personne ne peut empêcher la migration. La migration est un droit. » Ces mots gorgés d’évidence incomprise sont ceux d’André, un passeur, protagoniste du récit. Prononcés les yeux baissés, ils sont d’emblée choisis pour ancrer le film dans son propos. André comme Fity, Boubakar, Mudatheir et Myriam livrent leurs histoires aux conditions semblables mais mues par des nécessités bien différentes. Ainsi, leurs mots se répondent pour tisser un portrait descriptif et volontairement incomplet de la ville.

Le montage rend précisément compte du voyage de la réalisatrice et de l'enchaînement plus ou moins calculé de ses rencontres et la voix-off, à l’assurance incertaine, ajoute une forme d’intimité au récit de la journaliste, extérieure à ce monde qu’elle semble découvrir et vouloir nous faire découvrir. Ces incursions permettent également de faire le point de manière régulière et de reconnecter les propos des protagonistes à leur contexte géopolitique.

Morgane Wirtz s’évertue, et c’est là l’un des intérêts du film, à laisser la narration s’étendre durant les entretiens face-caméra plus que dans le film lui-même, plutôt théorique. Cet angle choisi amène à envisager Agadez non seulement comme plaque tournante ou comme point de convergence entre deux mondes, mais également comme une ville en tant que telle, un lieu avec une existence propre où des gens se rencontrent, se séparent, s’installent ou transitent.

Teghadez AgadezCet angle de lecture, précis et parfaitement lisible, cherche à éclairer les activités plurielles des passeurs très majoritairement décrits comme des monstres criminels dans les récits qui arrivent en Europe. A travers l’intérêt porté à André, Morgane Wirtz met en lumière les risques pris par ces contrebandiers pour contourner certaines lois migratoires afin d’aider leurs semblables, victimes, entre autres, de l’exploitation des terres africaines par les nations européennes. Voilà le nœud du problème. C’est l’histoire du serpent qui se mord la queue en manifestant sa douleur et en montrant sa plaie. En appauvrissant certains états africains (moyennant certaines contreparties pour leurs dirigeants), les états européens créent ces mouvements migratoires qu’ils ne peuvent plus contenir. Alors, en grands seigneurs qu’ils pensent être, ils inventent des lois pour réguler l’exploitation de ces flux mais ne créent rien d’autre que la mort et le danger.

« Teghadez Agadez. » signifie « Je te rends visite à Agadez. »

C’est bien après presque deux ans passés au plus près des habitants de cette ville, que la réalisatrice condense 52 minutes de son regard troublé sur la politique migratoire et ses conséquences : esclavagismes ouvrier et sexuel, terreau des terrorismes en tout genre.

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