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The incident d'Alexandre Courtès

Publié le 14/07/2020 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Les portes du pénitencier

1989, Washington. Trois jeunes musiciens dont le groupe de rock bat de l’aile avant même d’avoir décollé, George (Rupert Evans, le chanteur), Max (Kenny Doughty, le guitariste) et Ricky (Joseph Kennedy, le batteur) paient leurs factures en travaillant comme cuisiniers dans un asile psychiatrique de haute sécurité. Max et Ricky étant particulièrement immatures, George, poussé par sa petite amie, est sur le point de leur annoncer qu’il quitte le groupe. L’animosité entre les trois amis est à son comble. Le bâtiment dans lequel ils travaillent est un gigantesque bunker dont la cuisine est séparée du foyer principal par une grande plaque de plexiglas infranchissable. La plupart des pensionnaires sont de dangereux aliénés criminels, ayant tous du sang sur les mains et une araignée au plafond. George est le chef cuisinier et chaque jour, il s’efforce de préparer des menus de qualité et d’être courtois envers la ribambelle de mabouls qui le dévisagent lorsqu’ils font la file pour le repas. Grâce aux calmants qu’on leur administre quotidiennement, les détenus sont dociles, mais l’un d’entre eux, Harry Green (Richard Brake), un colosse au regard menaçant, a le don de mettre George mal à l’aise.

Un jour, une violente tempête fait sauter les plombs dans tout le bâtiment, qui se retrouve plongé dans l’obscurité, sans électricité. Les portes étant verrouillées automatiquement, les trois jeunes hommes se retrouvent coincés avec des dizaines de désaxés tantôt apeurés, tantôt violents dans cette forteresse. Se portant volontaire pour ramener quelques-uns d’entre eux dans leurs cellules, George comprend trop tard que l’inquiétant Harry a convaincu ses camarades de cracher leurs médicaments. Alors qu’il découvre les corps sans vie et sauvagement mutilés des infirmières et de plusieurs gardiens, commence pour George un long périple au beau milieu de ce nid de coucous. Les fous se montrent de plus en plus agités et tentent par tous les moyens de s’introduire dans la cuisine pour attaquer Ricky et Max, barricadés dans le congélateur. Par ailleurs, les hallucinations dont George est victime depuis peu ne seraient-elles pas le signe d’une schizophrénie naissante ?

Pour son premier long-métrage, présenté en son temps au festival de Gérardmer et au BIFFF, distribué outre-Atlantique sous le titre alternatif Asylum Blackout, mais hélas passé un peu inaperçu, le français Alexandre Courtès, un clippeur ayant œuvré pour de nombreux groupes (Noir Désir, U2, Daft Punk, les White Stripes), fait preuve d’une maîtrise saisissante de l’espace et de la direction artistique (les murs blancs de l’établissement conférant au film une ambiance clinique particulièrement étouffante) et se révèle très habile dans l’art de faire monter la tension, notamment en illustrant, dès le début du film, plusieurs mauvais présages qui annoncent une journée riche en drames, telle cette viande de poulet livrée avec les têtes toujours attachées. La mise en scène évoque, de manière toute relative, le style classique et l’esprit angoissant, dénué de tout cynisme et afféteries post-modernes, des meilleurs films de John Carpenter, Assaut en particulier. Courtés privilégie la tension à l’hémoglobine, même si certaines scènes « choc », valent leur pesant de cacahuètes. Mais le réalisateur réussit à équilibrer son récit entre violence graphique, course contre la montre haletante et séquences surréalistes conférant à son film une ambiance onirique parfois plus proche du cinéma fantastique traditionnel que du survival.

Dans le rôle principal, le trop méconnu Rupert Evans (croisé dans Hellboy et la superbe série The Man in the High Castle) fait preuve d’une fragilité que l’on croise trop rarement chez les héros du film de genre moderne. Mais, coproduction belge oblige, c’est surtout la galerie de « gueules » bien connues des écrans belges, notamment du public du BIFFF, qui a retenu notre attention. Ainsi, pour camper la joyeuse bande de barjots psychopathes, Alexandre Courtès a fait appel, ne serait-ce parfois que pour le temps d’un seul plan, à nos compatriotes Eric Godon, Philippe Résimont, Marc Zinga, Pierre Nisse, Jean-Michel Vovk, Gaël Maleux, Michael Fromowicz, Damien Marchal et Michel Webster. Une véritable cour des miracles, « who’s who » de la tronche la plus inquiétante ou la plus pathétique, qui ajoute au plaisir que l’on éprouve lors de ce thriller à l’ancienne, qui sait aller à l’essentiel (1h25 seulement) et qui marquait modestement, il y a neuf ans déjà, l’émergence d’un artisan du film de genre dont la carrière n’a malheureusement pas décollé depuis. En effet, à l’exception d’un segment du film à sketches Les Infidèles (2012) parrainé par Jean Dujardin et Gilles Lellouche, Alexandre Courtès n’a plus jamais retrouvé le grand écran, se consacrant plutôt au vidéoclip et à des épisodes de séries télévisées... Une réelle injustice pour les amateurs de cinéma de genre solide et sincère  !

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