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The Mind Game de Sajid Khan Nasiri, Els Van Driel et Eefje Blankenvoort

Publié le 19/02/2024 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Le voyage des damnés

Ils appellent ça « le jeu » : le dangereux voyage dans lequel s'aventurent tant de mineurs non accompagnés, à la recherche de protection en Europe et du statut de réfugié. Âgé d'à peine 15 ans, Sajid Khan Nasiri, surnommé « SK », a fui l'Afghanistan, seul, pour échapper aux talibans qui avaient déjà tué son père. Après un voyage de 2 ans semé d'embûches et de dangers - qu'il a documenté minute après minute avec son smartphone -, SK est arrivé en Belgique pour demander l'asile. C'est là qu'a commencé un nouveau parcours du combattant. À travers des vidéos filmées, des itinéraires Google Earth et des messages échangés avec les réalisatrices (qu’il a rencontrées en Grèce), The Mind Game nous fait vivre son parcours.

The Mind Game de Sajid Khan Nasiri, Els Van Driel et Eefje Blankenvoort

Afghanistan - Iran - Turquie - Grèce - Macédoine du Nord - Serbie - Bosnie (où il reste bloqué 10 mois, vivant dans des camps ou sous des ponts) - Croatie - Serbie à nouveau - Roumanie - Hongrie - Slovaquie - République tchèque - Allemagne – Belgique. Voilà le voyage effectué à pied en deux ans par le jeune homme et ses camarades de route, avec de nombreux incidents, drames et déceptions sur le chemin. Il faut d’abord tout négocier avec des passeurs, rarement fiables. Les coups reçus, voire les tortures subies à certains postes-frontière (particulièrement en Bosnie et en Croatie) sont monnaie courante : quand les policiers ne violentent pas les réfugiés, ils leur volent leurs maigres possessions. À cette violence, à la douleur, à la faim s’ajoutent les effets psychologiques : stress, maux de tête, insomnies... À la frontière entre la Bosnie et la Croatie, SK et ses compagnons sont refoulés et obligés de rester en Bosnie, dans la misère la plus totale. C’est néanmoins là qu’il rencontre celui qui deviendra son meilleur ami, Majid, un garçon du même âge que lui. Mais une fois arrivé à la gare de Bruxelles-Midi, SK va, une fois de plus, connaître bien des désillusions.

Il s’agit maintenant pour Sajid, âgé de 17 ans, de prouver aux autorités belges qu’il est bien mineur, afin de recevoir le statut de réfugié et d’avoir le droit d’étudier à l’école. En attendant, il a ce que l’on appelle un « doubt paper » : un certificat stipulant que son statut de mineur est incertain. Il doit subir des examens médicaux destinés à déterminer son âge… personne ne lui fait confiance ! Les interviews sont humiliantes, l’attente est longue et le moral bas. SK n’a pas vu sa famille depuis presque 3 ans. Et après deux ans de marche au péril de sa vie, on lui dit qu’il doit maintenant obtenir ses papiers d’identité d’Afghanistan, où la situation dégénère… Des démarches qui ne sont qu’une terrible perte de temps, mais à laquelle tous les arrivants doivent se soumettre.

Pour SK, l’histoire se terminera de manière heureuse. Mais ce sera loin d’être le cas pour tous ses compagnons : Majid, démoralisé parce que l’État belge a officiellement décrété qu’il avait 19 ans (alors qu'il en avait 17) - il n’aurait donc pu ni étudier ni toucher des allocations chez nous - se suicide en se jetant sur les rails. L’adolescent a préféré en finir parce que l’État belge n’a pas pris le temps de l’écouter. Deux ans de marche à travers une Europe hostile pour arriver en Belgique, dix heures à peine pour rentrer chez lui… dans un sac mortuaire !

La limite de ce documentaire d’une heure est de ne raconter, en somme, que l’histoire d’un réfugié modèle, de son seul point de vue : SK vit aujourd’hui dans un appartement à Anvers et étudie pour devenir interprète. Il est évident que la problématique migratoire est éminemment plus complexe que ne le laisse à voir le film. La force de The Mind Game est ailleurs : dans sa description de la pression psychologique insoutenable qui pèse sur des jeunes gens qui, pour beaucoup, ne sont pas encore entrés dans l’âge adulte ; dans des statistiques qui font froid dans le dos : des centaines de mineurs anonymes morts chaque année sur la route ; et dans son constat lucide, sous la forme d’une phrase qui revient à plusieurs reprises dans le commentaire de SK : « Les réfugiés, tout le monde s’en fout ! »

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