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The Room de Christian Volckman

Publié le 20/06/2019 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Retour de bâton

On connaissait surtout Christian Volckman pour Renaissance, un polar de SF réalisé en Motion capture qui entraînait son spectateur sur une enquête un peu alambiquée dans un Paris futuriste. Le graphisme très épuré, fait de grands aplats de noir et de blanc, sans nuance de gris avait soulevé l'enthousiasme (primé notamment à Annecy, le film avait même concouru pour les Oscars). Hélas, un scénario assez hermétique allait rebuter le grand public. 13 ans plus tard, le réalisateur nous revient avec un projet aux antipodes de ce premier opus, injustement boudé. Ici, plus d'animation mais un film en prise de vues réelles, plus de grands espaces urbains stylisés mais un huis clos dans une maison isolée, plus de défilé de personnages mais une famille nucléaire et quelques caractères secondaires, et plus d'intrigue politico policière mais une ambiance étouffante générée par un scénario malin en diable qui nous invite à tous les rendez-vous classiques du conte horrifique à la Stephen King. Bienvenue dans The Room.

Kate et Matt la trentaine, ont toujours vécu dans l’agitation de la grande ville. Pourtant, après une crise de leur couple corrodé par deux fausses couches successives, ils décident de se refaire une santé à la campagne. D'autant qu'ils ont déniché la super baraque à retaper au bord de la forêt. Sans plus attendre, Matt se retrousse les manches et se met au boulot. Dans la cave, il tombe sur une machinerie étrange, noyée dans un fatras impressionnant de câbles électriques qui conduisent tous à une pièce du premier étage. Cette chambre, un peu comme le génie d'Aladdin, a le pouvoir de matérialiser les désirs de ceux qui l'occupent. Une fois la surprise passée, les deux heureux propriétaires profitent à fond de ce cadeau inattendu. Le champagne coule à flots et tous les objets de luxe et de plaisirs imaginables apparaissent aussitôt qu'évoqués. La vie devient une fête permanente. Etourdis par ce pouvoir sans limites, le jeune couple perd vite toute prudence. Mais toute chose a un prix. Et quand Kate, toujours psychologiquement fragile et rongée par son désir d’enfant, se prend à imaginer l’impensable, le joli rêve va graduellement devenir leur pire cauchemar.

À première vue, le pitch mijoté par Volckman et ses deux co-scénaristes, Eric Forestier et Vincent Ravalec, n'ambitionne pas de déstabiliser le spectateur. La parenté avec un courant du fantastique américain, notamment personnifié par Stephen King, est patente, au cinéma, on pense à Wes Craven, Stuart Rosenberg ou John Carpenter, et cette sensation est encore accentuée par une ambiance, des décors, une distribution qui lorgnent vers le marché international (lire américain). En effet, le film est réalisé en anglais, l'histoire est censée se passer dans le New Hampshire et, bien que tourné chez nous, certains paysages évoquent ceux de la côte Est des Etats-Unis. Même les thèmes abordés contribuent à rendre cet univers oppressant proche de ceux qu'on retrouve dans le fantastique anglo-saxon. La maison maléfique, le voyage entre des univers parallèles, l’épreuve imposée au jeune couple confronté à ses désirs et ses peurs les plus profonds, tout y est. Cependant, le scénario n'hésite pas à aborder intelligemment des thèmes plus contemporains : notre société d’hyperconsommation, boostée par un commerce (sur Internet) qui nous habitue à nous procurer rapidement tout ce qu’on désire et qui nous pousse à nous servir sans limites ; le sentiment de toute puissance que cela procure, la difficulté à contrôler ses pulsions qui perturbe petit à petit le fonctionnement du corps et de l’esprit.

Le film est plus riche qu’il n’y parait à la lecture du scénario. Intelligemment, il privilégie la sensation d’angoisse et d’oppression plutôt que les effets spéciaux spectaculaires et un peu faciles. Pas de grands coups de théâtre, mais des rebondissements judicieusement dosés pour ranimer l’intérêt du spectateur à chaque fois que l’attention menace de faiblir. Et comme la mise en scène est soignée et les comédiens impeccables, on reste accroché du début à la fin.

The Room peut compter sur une distribution tout-à-fait convaincante. On sait depuis longtemps que la comédienne franco-ukrainienne Olga Kurylenko peut faire tout autre chose que de mettre sa plastique en valeur : son visage creusé, son regard hanté montrent à quel point elle s’est impliquée pour donner corps à la jeune femme dévastée par un terrible conflit intérieur. Face à elle, le réalisateur a choisi Kevin Janssens, essentiellement connu jusqu’ici pour sa prestation dans le thriller D’ardennen, mais dont l’étoile ne cesse de grandir. Le choix se révèle pertinent. Totalement crédible dans un rôle difficile, faisant appel à une palette de jeu variée, c’est la véritable révélation du film. Le couple fonctionne très bien à l’écran et cette alchimie contribue à donner une âme à ce thriller claustrophobe qui, autrement, aurait pu sembler dépourvu de chaleur.

The Room, c'est aussi un espace, un décor, un environnement. Le film doit à sa production belge d'être tourné dans une grande maison du début du siècle dernier, aux allures de gentilhommière rurale, située à Thimister, entre Herve et Aubel. Son côté intemporel, un peu baroque, en fait l'écrin idéal. Les scènes de la chambre magique et les espaces sur lesquels elle ouvre, qui font davantage appel aux effets spéciaux, ont, quant à elles, été tournées en studio au Grand-Duché de Luxembourg, dans une superbe région de fôrets qui permet également au réalisateur quelques impressionnants plans d'extérieurs.

Christian Volckman propose un film de genre efficace, subtilement scénarisé et intelligemment tourné. Avec talent, le réalisateur a su s'adapter aux exigences de la série B sans trop sacrifier du projet de départ. The Room devait d'abord être réalisé au Canada, il prend finalement vie chez nous grâce au soutien sans faille des producteurs liégeois de Versus, et luxembourgeois de Bidibul. Le réalisateur peut également compter sur une équipe de professionnels, belges et luxembourgeois pour la plupart (le Français Reynald Capurro à la photo, Olivier Struye au son, Françoise Joset pour les décors,…) dont le savoir-faire contribue pleinement à conférer au film son ambiance particulière.

Présenté en première mondiale au BIFFF, le film témoigne de la capacité désormais affirmée de la région Wallonne d'offrir des lieux de tournage adaptés, des talents techniques et des capacités de production assez développées pour permettre la création de films de genre à même de se présenter sans rougir sur le marché international.

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