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The Sea Ahead

Publié le 02/04/2022 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Le Désert bleu 

Jeune cinéaste libanais, Ely Dagher avait présenté au Festival International du Film Francophone un très beau court métrage d’animation Waves 98, qui mettait en scène la ville de Beyrouth sur un mode onirique, l’histoire d’une échappée sous forme de fantasmagorie salvatrice. C’est à nouveau la ville qui est au coeur de ce premier long-métrage très abouti, et le Liban dans son marasme livide. Un premier film risqué et fascinant, à la fois doux et oppressant, au goût de désespoir.

The Sea Ahead

Jana est une jolie jeune femme mutique et éteinte qui débarque à Beyrouth aux premières images du film. Elle y revient, somnambule, chez ses parents, pour s’écrouler dans son lit, errer entre quatre murs. La mer, l’horizon, l’avenir, ne sont qu’un tout petit bout de mer aperçue entre deux immeubles gris depuis la terrasse de son appartement. Autour d’elle, le monde des adultes, de la ville, du Liban semble un territoire fantôme, peuplée de créatures grimaçantes ou dépressives. Y plane une menace sourde et continue comme la musique du film, discrètement lyrique, qui tient des bribes de notes suspendues. Comme ce tsunami annoncé dans les toutes premières minutes du film.

 

Ely Dagher étire sa matière jusqu’à la nausée existentielle. Fasciné par la ville, ses immeubles immenses et neufs, pour la plupart d’entre eux vides, Dagher filme Beyrouth essentiellement la nuit, quand la ville est trouée de lumière, indiscernable, désertée et menaçante. Son film est entièrement plongé dans un clair-obscur bleuté, qui va du bleu foncé de la nuit noire à celui très léger des grisailles moites. C’est une heure du loup qui n’aurait pas de fin. En de longs plans fixes ou de très larges travellings flottants, sa narration se rythme de temps morts, de gestes suspendus, de visages décomposés. D’attentes, de riens, de silences. Les dialogues sont infimes, les événements sans significations. Dans ce temps suspendu, Jana erre dans l’espace clos de son appartement, ou dans une ville vide où les espaces ne se rejoignent pas. Elliptique, le film passe d’un endroit à l’autre, d’un moment à l’autre, sans liaison. Tout y est enfermement, ou promesse d’engloutissement. Et s’il y a délivrance, elle sera ténue, incertaine. La situation du Liban est évoquée par-ci par là, à travers quelques dialogues, quelques bribes de phrases. Jana, elle, n’en dit rien. Tout ici est à éprouver, depuis la déréalisation du monde, écrasant jusqu’au vertige, au retour d’un lent et incertain mouvement de vie. Ou plutôt une pulsion de mort qui trouverait enfin son chemin dans le réel jusqu’à la ville qui s’anime. Ou la mer, enfin, au loin.

 

Il y a du Antonioni dans ce premier long-métrage qui fait preuve d’une très grande maîtrise. Cadres, lumières, découpages y sont extrêmement travaillés, avec une attention minutieuse qui pourrait frôler un certain maniérisme s’il n’y avait pas cette lenteur et ce dépouillement des décors, des dialogues, de la narration qui permettent au film de trouver une forme d’épure, de calme et de douceur. S’il n’y avait cette fascination pour la ville elle-même qui sans cesse travaille le film et le dépasse, le décale de lui-même, l’ouvre à son ailleurs, comme ces quelques scènes oniriques bouclent la boucle de ce tsunami fantasmé.

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