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The Shift d’Alessandro Tonda

Publié le 22/04/2021 par Malko Douglas Tolley / Catégorie: Critique

The Shift est un film italo-belge diffusé lors de l’ouverture du BIFFF ONLINE 2021. Le moins que l’on puisse dire est que sa diffusion a suscité de nombreuses réactions parmi les fans et les journalistes. Le film d’Alessandro Tonda amène des sentiments et des critiques contrastées. Certains ont détesté, d’autres ont adoré. Nous avons décidé de contacter le réalisateur pour comprendre sa démarche et en savoir plus sur la création de ce film qui aborde un sujet tabou en Belgique : l’embrigadement terroriste de jeunes bruxellois par des prédicateurs salafistes.

The Shift d’Alessandro Tonda

Le film commence par une scène choc et pesante, un attentat à la bombe artisanale par deux jeunes dans une école bruxelloise. Cette séquence d’une violence assez inouïe laisse difficilement indifférent. Les corps des jeunes étudiants tombent au sol comme des mouches et les images font froid dans le dos.

The Shift n’a pas commencé depuis 5 minutes et l’on se dit que l’on n’est pas au bout de ses émotions. Rapidement, les ambulances arrivent sur le lieu de l’attentat et on ne peut s’empêcher de ressentir de l’empathie pour ces jeunes bruxellois qui garderont des séquelles à cause de l’acte démesuré de leurs deux « camarades » de classe.

Dès lors commence la deuxième phase du film, celle du huis clos dans l’ambulance. Un des jeunes terroristes a survécu et il est ramassé parmi les victimes par des ambulanciers. Bien évidemment, ils ne se rendent pas compte que le jeune est un terroriste et ils feront tout pour tenter de le sauver. Le film se déroulera quasi entièrement dans l’ambulance dès cet instant. Les trois protagonistes principaux sont le chauffeur de l’ambulance, l’acteur italien Adamo Dionisi, l’ambulancière, Clotilde Hesme dont le rôle dans Lupin n’est pas passé inaperçu et le jeune Adam Amara, un jeune acteur français.

Si le réalisateur arrive à maintenir la tension durant la première partie du film, l’action s’essouffle un peu en cours de route, notamment devant la passivité de l’infirmière et ses choix contestables. D’autant plus que l’on se concentre vraiment essentiellement sur ce qu’il se passe dans l’ambulance et que les protagonistes externes ne bénéficient pas d’une attention importante. Les flics sont composés d’un bon policier à l’âme sensible et d’un ripou au discours formaté. La famille du jeune terroriste n’est représentée que par la réaction du père de famille incrédule devant l’acte de sa progéniture mais malheureusement, si cet angle d’approche procure de l’émotion, il est réduit à son minimum. On n’aborde pas non plus la question de l’entourage des jeunes garçons et les mécanismes qui poussent à suivre le chemin de la radicalité. La seule réponse apportée à ce basculement est l’existence d’un entraîneur de foot qui aurait manipulé des jeunes en colère pour qu’ils participent au projet de Daesh. Ce personnage n’est pas non plus développé outre-mesure et ce manque de profondeur dans la personnalité des personnages secondaires enlèvent un peu de crédit au film. Ces petits défauts empêchent de vraiment prendre la mesure de ce drame social très puissant.

Le choix d’avoir tourné ce film en Belgique n’est pas anodin et il ajoute bien évidemment de l’émotion pour le spectateur belge, du moins pour ceux qui ne se sont pas amusés à souligner que les trajets de l’ambulance n’étaient pas en phase avec la géographie bruxelloise.

Lors de notre rencontre avec Alessandro Tonda, nous avons appris qu’initialement le film avait été écrit pour se dérouler en Italie mais par suite de l’intérêt de Tarantula Production, le tournage s’est donc réalisé à Bruxelles, mais également à Liège. De nombreux castings se sont déroulés à Bruxelles et à Liège sur le concept du « Street Casting » pour le rôle du jeune terroriste mais c’est un comédien français qui a finalement été choisi pour le rôle. Le réalisateur parle du « destino » car il a trouvé Clothilde et Adamo le même jour. La structure utilisée pour ce film est celle du thriller. Le réalisateur voulait apporter un deuxième niveau de compréhension sur la thématique générale du terrorisme. Mais comme il nous l’a expliqué, 80% du film a été tourné à l’intérieur de l’ambulance et beaucoup de messages passent uniquement par les émotions et les regards des protagonistes. Ce besoin de rester dans l’ambulance se justifie par sa volonté de rester dans le genre du thriller et de ne pas tomber dans un drame social, comme on en voit beaucoup. Malheureusement, ce choix artistique empêche The Shift d’être considéré comme une critique sociétale complexe du phénomène d’embrigadement pour des attentats kamikazes.

On aurait probablement apprécié d’en savoir un peu plus sur les mécanismes qui sont à la base de ce type de basculements dramatiques en même temps que la tension suscitée par un début de film explosif.

Ce long-métrage ne plaira pas à tous par les clichés qu’il peut véhiculer et une gestion un peu trop prudente et malheureusement trop restreinte de l’analyse sociétale qui aurait été envisageable pour une thématique aussi lourde et complexe.

Contrairement à certains plus critiques, nous avons néanmoins trouvé des qualités à ce film qui remet sur le devant de la scène un sujet de société important passé au deuxième plan suite à la pandémie, une bombe à retardement qui, si elle semble « en pause » risque de revenir d’actualité un jour ou l’autre vu le manque d’anticipation et de prévention dans ces matières.

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