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Tintin et le mystère de la momie Rascar Capac

Publié le 10/01/2020 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Dans les Griffes de la Momie

 

Les générations de lecteurs âgés de 7 à 77 ans qui ont lu Les Sept Boules de Cristal (1948), treizième album des Aventures de Tintin, savent qu’Hergé était fasciné par les momies. La sienne, il l’avait baptisée Rascar Capac, un bougre d’ectoplasme à roulettes, au regard noir, surnommé « celui qui déchaîne le feu du ciel » parce qu’il lançait des boules de feu pour terroriser Tournesol et compagnie. Rascar était probablement l’un des personnages les plus effrayants de l’œuvre du dessinateur.

« Blague, fumisterie et compagnie ! Un grotesque polichinelle ! », se serait écrié le Capitaine Haddock, qui ne croyait pas plus aux momies qu’aux loups-garous à la graisse de renoncule. Mais peu savent que pour créer son terrifiant personnage, Hergé s’est probablement inspiré d’une pièce archéologique amérindienne conservée au Musée Art & Histoire de Bruxelles, qu’il aurait découverte lors de la première grande exposition précolombienne organisée par le musée du Cinquantenaire de Bruxelles, dans les années 20. AAM5939, c’est le nom de code de cette momie originaire du Pérou. Le nom que lui a donné Hergé est un habile amalgame des patronymes de différents empereurs de la civilisation inca et du mot « lascar ».

Le documentaire de Frédéric Cordier suit l’enquête de Serge Lemaître, archéologue, conservateur de la Collection Amérique et spécialiste de la période précolombienne pour le Musée Art & Histoire de Bruxelles. Il est épaulé par sa collègue Caroline Tilleux. Ensemble, comme dans un épisode de « Les Experts : L’Empire Inca », ils tentent de reconstituer l’histoire de cette momie énigmatique, restée anonyme depuis sa découverte. Qui était-elle ? Homme ou femme ? De quel âge ? Quelle était sa vie ? Son statut social ? De quoi est-elle morte ? Quel fut le rituel funéraire utilisé pour la momifier ? Et surtout… « Why so serious ? » Des questions passionnantes auxquelles ce film va tenter de répondre au gré d’investigations scientifiques qui vont mener nos deux experts de Bruxelles au musée de l'Homme à Paris, jusqu'à Cuzco, puis Lima au Pérou, et à Arica au Chili.

Premier embryon de piste : en fouillant dans les caisses du Musée, Serge Lemaitre découvre six autres momies similaires, dont celle d’un enfant. Des artefacts apparemment rapportés en Belgique au XIXe siècle, aux alentours de 1842, par le Baron Jean-Baptiste Popelaire de Terloo, voyageur et grand aventurier, au terme d’un long voyage en Amérique du Sud. Or, cette expédition était une exception pour l’époque, puisque la plupart des fouilles destinées à trouver des momies précolombiennes n’ont eu lieu que 100 ans plus tard, bien après la découverte des momies égyptiennes. Il existait de grandes différences, d’un continent à l’autre, entre les techniques de momification : les momies précolombiennes sont des corps desséchés naturellement et conservés grâce à un environnement propice, alors que les égyptiennes faisaient l’objet de très longs rituels de préparation avant d’être enrobées dans des bandelettes de lin. Contrairement à leurs cousines égyptiennes de hauts rangs, les momies précolombiennes ne sont pas celles de rois ou de hauts dignitaires. Aucun archéologue à ce jour n’a encore retrouvé de momie d’empereur ou de grand roi inca. Se pourrait-il que celle qui a inspiré Rascar Capac soit une exception ? C’est en tout cas ainsi que Hergé l’imaginait, puisqu’il lui avait donné une couronne de plumes et des bracelets d’or, attributs des hauts dignitaires de l’époque.

Evidemment, nous ne révélerons ici aucune des réponses. Disons juste que c’est dans le service radiologie des cliniques universitaires Saint-Luc, à Bruxelles, qu’une grande partie du mystère va s’estomper. Escortée comme la Reine d’Angleterre, AAM5939 y est acheminée avec toutes les précautions pratiques et sanitaires imaginables, afin d’y subir des dizaines de tests scientifiques très pointus : examen des dents, radiographie 3D, étude d'un prélèvement de peau, analyse toxicologique des cheveux… Les résultats obtenus éclairent l'histoire, l'organisation sociale et les pratiques funéraires des Incas, une civilisation d’une richesse inouïe, victime de la conquête espagnole au XVe siècle, mais qui, semble-t-il, n’aura jamais fini de livrer ses innombrables secrets. Si ce documentaire entrecoupé de cases tirées de la bande dessinée s’avère passionnant malgré sa facture très télévisuelle (voix off inutile, musique dramatique malvenue, intervenants mal à l’aise face à la caméra…), il a le mérite de nous rappeler la richesse d’un sujet intarissable et de se conclure par un constat insolite et sans appel : malgré tous les essais de rationalisation scientifique auxquels AAM5939 est soumise, un être capable d’obtenir un rendez-vous rapide pour un scanner aux Cliniques universitaires Saint-Luc est définitivement une créature surnaturelle, diabolique et omnisciente, aux pouvoirs magiques insoupçonnés !

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