Trafic, une revue dont on ne vous a guerre parlé jusqu’ici – à tort – est l’une des plus passionnante qui existe sur le cinéma de ses débuts à nos jours. Fondée par Serge Daney qui participa aux premiers numéros avant de mourir, la revue continue de plus belle, à raison de quatre numéros par an.
Trafic 63 - automne 2007
Celui d’automne 2007 démarre avec un texte de Dominique Païni intitulé My own private Cannes. Une réflexion un peu agacé sur Panoraïd Park de Gus Van Sant.(bof) mais aussi une réflexion pleine d’intérêt sur Death Proof de Quentin Tarantino " machine d’images emballées…je mesure surtout d’une manière absolument inattendue, l’axe expérimental de Tarantino au sein de l’industrie ". Cerise sur le gâteau une distinction sur le cinéma refusé par son public de par les exigences du capitalisme qui pratique la rotation rapide. Pour reprendre les mots incisifs de Gilles Deleuze : " Il y a beaucoup de forces aujourd’hui qui se proposent de nier toute distinction entre le commercial et le créatif. Plus on nie cette distinction, plus on pense être drôle, compréhensif et averti.
En fait, on traduit seulement une exigence du capitalisme, la rotation rapide (…) il y a dans les œuvres créatives une multiplication de l’émotion, l’invention de nouvelles, émotions, qui se distinguent des modèles émotifs préfabriqués du commerce ". (1) Et pan !
Deux articles sur Abbas Kiarostami. Après celui de Youssef Ishagpour intitulé Kiarostami ou la fidélité au réel, celui de Frédéric Sabouraud : L’aura, l’aura pas. Ce dernier insiste sur cette manière qu’a Kiarostami " d’inscrire de façon récurrente le cinéaste dans le plan sous forme documentaire ". On n’est pas loin d’autres cinéastes comme Johan van der Keuken (avec Les vacances du cinéaste) ou Robert Kramer. Et Sabouraud nous cite cette analyse de Jean-Louis Comolli ; " le document ultime, le nec plus ultra du documentaire, est le corps filmé du cinéaste, qui court-circuite en quelque sorte la boucle de la représentation en confondant sujet et objet, moyens et fins, preuve et épreuve. L'entrée en scène du corps de l'auteur renchérit sur l'ensemble corps – parole – sujet – expérience – vie pour le rendre moins falsifiable encore. "
Précisément, Jean-Louis Comolli écrit un bel article intitulé Post-Scriptum sur Rossellini. Une relecture de Lettre sur Rossellini de Jacques Rivette (1955) qui reste célèbre dans la défense d'un cinéma controversé à l'époque (décrit comme catholico-vaticana-alleluïa). Comolli sur le texte de Rivette : " Je suis frappé par la validité prophétique où la permanence Post-scriptum de la plupart des motifs avancés, qui valent, au-delà d'Europe 51 et de Voyage en Italie, pour les films postérieurs et de manière plus surprenante pour des films dits encyclopédiques et faits pour les télévisions italienne et française ".
Hawks à l'ouvrage, la genèse de LAND OF THE PHARAOHS est signé Bill Krohn, himself, le talentueux critique américain à qui l'on doit la restauration de It's all true d'Orson Welles. Les nombreux fans d'Howard Hawks se souviennent de Hollywood sur Nil, l'ouvrage hilarant de Noël Howard, assistant de Hawks et dirigeant la seconde équipe de ce phénoménal Terre des Pharaons. On se rappelle de l'épisode où Harry Kurnitz co-scénariste mort de rire et incapable de s'y arrêter présente à Noël Howard une page presque blanche en disant : " Au bout de quatre mois voici la première, la seule contribution au scénario de William Faulkner : " Les travaux de construction de la pyramide durent depuis quinze ans : le pharaon se rend sur les lieux : Le pharaon – Alors, comment ça marche le boulot ? "
Il en faut plus pour déstabiliser un phénomène comme Howard Hawks. Interrogé par les producteurs stupéfaits qui lui demandent à quoi sert Faulkner dans l'équipe, le réalisateur de Rio Bravo leur répond sans broncher : Monsieur Faulkner est ici pour m'aider à boire mon thé tous les jours à 17 heure ! Jack Warner plutôt que d'avaler de travers – il y eut d'autres épisodes - " j'emmerde la Warner Brothers " hurlé par mille hommes de l'armée égyptienne – préféra en rire jaune (le budget étant colossal).
Est-ce la raison pour laquelle La Terre des Pharaons " unique incursion de Hawks dans l'épopée sur une civilisation ancienne, figure comme un film maudit " souligne Bill Krohn. Défendu avec enthousiasme par les Cahiers du cinéma (Rivette et Chabrol) lors de sa sortie en salles, le film continue d'intriguer les cinéphiles. Jean-Claude Biette dans son éloge sur Hawks, écrit : " Sa grandeur dans le relatif l'a empêché de songer parfois à courir le risque d'affronter l'absolu. Ce risque fut pourtant couru une fois dans Terre des Pharaons, film extraordinaire où le relatif avoue ses limites : le travail, cette fois conduit à un gigantesque appareil de Tombes ". Qu'est-ce que donc que de BRINGING UP BABY allait faire en Egypte à part boire sa cup of tea ? On apprend lors d'un entretien qu'il a accordé à Rivette, Truffaut et Becker (1) pour les Cahiers du Cinéma qu'au départ il voulait filmer la construction d'un aérodrome en Chine pendant la seconde guerre mondiale. Sauf que l'époque depuis 1949 avait changé avec l'arrivée de Mao Zedong. Et puis il y a l'idée d'utiliser le procédé Cinémascope. Ce sera l'unique expérience de Hawks dans un format qu'il n'aimait pas (pour rester poli),
A nos trois critiques – réalisateurs il avoue : " J'aime beaucoup cette sorte de travail. Ces entreprises, constructions d'aérodrome ou de pyramide servent à montrer le pouvoir de l'homme, ce qu'il est possible de montrer avec la pierre, le sable et les mains ".
Bill Krohn nous parle de la fin du film avec brio " lors de l'apothéose, Nellifer se tient près du sarcophage du pharaon dans sa chambre funéraire, et le charge de tirer sur le cordon actionnant la machine infernale tandis que vingt-quatre moines fidèles auxquels on a coupé la langue – peut-on imaginer raccourci plus sinistre du petit groupe hawksien "? – la regardent impassiblement sceller son destin. C'est un scène magnifique que Hawks avait déjà utilisée dans Train de luxe (1934) (…) Etait-ce juste un exemple typique d'Humour hawksien " (le seul dans tout le film) que d'achever son unique tragédie sur une scène tirée de sa comédie la plus âpre ? "
Réponse en lisant Trafic 63, automne 2007.
(1) Hawks Réalisateur fétiche de Serge Daney voit la Terre des Pharaons analysé dans La Rampe (vieillesse du même). éd – Les Cahiers du cinéma.