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Trafic 64 - Hiver 2007

Publié le 01/02/2008 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Livre & Publication

En décembre 2007, on vous parlait du numéro 63 de Trafic sans vous signaler que les numéros 37 (Serge Daney) et 56 (Alfred Hitchcock et Fritz Lang) sont deux numéros incontournables, ainsi bien sûr que le numéro 50 (Qu’est-ce que le cinéma ?)

Le numéro 64 de la meilleure revue francophone vient de paraître. On doit Trafic, ce bijou de la critique de cinéma, à Serge Daney qui refusait que les critiques parlent du cinéma à la manière de la com' pour la consommation (« il n’y a plus de revues, il n’y a plus que des magazines, il y a des médias et les médias ne parlent pas à l’écrit, ils marchent au jetable »).

3 articles sur les 16 qu'offre la revue.

Trafic 64 - Hiver 2007

Jean-Daniel Pollet. Chouette, on nous parle de ce phénomène dans le cinéma français du couple Melki/Pollet.

On leur doit quatre films (deux courts et deux longs) qu’on peut comparer à ce qui a été réalisé de meilleur dans un cinéma particulièrement riche depuis Lumière/Méliès. Des films qui montrent, avec  tendresse, l’échec de la réussite à tout prix et du star système. Revoyons quelques chefs-d’œuvre, Boudu sauvé des eaux et Le Carrosse d’or de Jean Renoir ou le fabuleux Le Plaisir de Max Ophuls. Jean-Daniel Pollet a réalisé L’Amour c’est gai, l’amour c’est triste et L’Acrobate avec Claude Melki, acteur Keatonien, proche des acteurs du cinéma muet, à la figure superbe que l’on n'a pas seulement découvert dans les deux longs métrages de Pollet mais aussi dans ses courts métrages (Monsieur Léon). Il tournait Pourvu qu’on ait l’ivresse lorsque sur les lieux du tournage (un bal populaire), il découvre l’incroyable Claude Melki (oncle de Gilbert Melki) et décide d’en faire le héros de son film. Il réapparaît aussitôt dans Rue Saint Denis, le meilleur sketch de Paris vu par.

Sur Méditerranée, un film commenté par Philippe Sollers qui a passionné une génération de cinéphiles, on peut découvrir un texte écrit par Maël Renouard. « Le film ne veut précisément rien nous apprendre. Il fait apparaître ces images comme toujours plus énigmatiques, dans le lointain où il nous envoie ». Philippe Sollers évoque l’enjeu de l’éternel retour. Cosmique donc. « Wittgenstein dit admirablement que, même si nous étions éternels et que nous disposions de la faculté de parcourir tout l’espace du monde, nous ne trouverions pourtant pas le sens de la vie ; car une chose telle que cela, le sens de la vie, devrait par principe être hors de la vie. L’image nous place hors d’un certain agencement des vestiges du monde ».

Jacques Demy à Hollywood, un article d’Anthony Fiant.

En 1964, Les Parapluies de Cherbourg ont obtenu la Palme d’Or au Festival de Cannes. L’année suivante, le film concourt à l’Oscar du meilleur film étranger et obtient un succès public en France et aux Etats-Unis. Du coup, Les Demoiselles de Rochefort est présenté en 1967 au Festival de San Francisco. Les voyages de Demy aux States lui donnent l’occasion de rencontrer des professionnels d’Hollywood et particulièrement Jerry Ayres, un jeune producteur exécutif à la Columbia qui va l’aider à monter et réaliser Model Shop. Un film que nous avons découvert avec Dimitra Bouras, notre rédactrice en chef, il y a dix ans à l’Arenberg-Galeries et qui nous a ébloui.

On néglige trop, souligne Fiant, que Demy a commencé à réaliser avec Le Sabotier du Val de Loire (1955) un documentaire, et qu’il n’y a donc rien de surprenant à ce que Model Shop ne soit pas la comédie musicale que tout le monde attendait après ses films précédents. Demy veut montrer une autre Amérique que celle que propose Hollywood sur le rêve américain. Et cela, en nous montrant des personnages qui ne s’imposent pas au top : gardiens de parking, musiciens, serveurs, pompistes, photographes. Rien de "peopleisant".

Il signe un contrat à la Columbia (sans scénario) avec un petit budget pour ne pas perdre sa liberté, et tourne un film en décor réel et sans vedettes.

Model Shop est un cuisant échec aux Etats-Unis lors de sa sortie en 1969. Pareil la même année en France où il se fait, qui plus est, incendier par la critique. Les Cahiers du Cinéma 213 sont les seuls à le défendre. Sylvie Pierre écrit : « Ce qui rend Model Shop si précieux, et si différent, c’est, entre autres, qu’y soit présentée l’Amérique réelle, par un renversement de l’imaginaire d’un côté à l’autre de l’Océan : la France devient le côté du rêve (pour arriver à Lola, l’Américain doit traverser un couloir très orphique) et l’Amérique devient quotidienne ».

L’insuccès du film rend Demy trop amer (style Hitchcock qui affirme que lorsqu’un film ne marche pas, c'est qu'il est mauvais; sauf que La Règle du jeu de Jean Renoir a été un échec total lors de sa sortie). Ce qui fait dire au malicieux Anthony Fiant que « cette déclaration comporte dans l’idée largement répandue le fait que les cinéastes ne sont pas les mieux placés pour évaluer leurs films. »

Il cite également un petit texte de Jean-Marc Lalanne sur Model Shop qui joue sur le carrefour entre Europe et Amérique. « Certes, Demy a raté Mai 68, mais au même moment, il tourne son film le plus violent et le plus contestataire, à la fois mise en crise de son propre cinéma, et document brut sur l’état de l’Amérique en pleine guerre du Vietnam ».

Lettres de Los Angeles, le texte de Bill Krohn est curieux. Il cite un paquet de réalisateurs américains et européens ayant travaillé à Hollywood. Nostalgie, nostalgie de l’époque glorieuse du cinéma hollywoodien, créatif et populaire. Dans les années 70 (grâce à Coppola, Cimino, Ashby, Malick, Scorsese, De Palma, Penn etc.) de nombreux réalisateurs créent un cinéma nouveau et pas du tout basé sur le néoclassique. Grande époque avec trop de talents pour qu’Hollywood ne leur règle pas leur compte. Ayant aidé les studios à se sauver ceux-ci se sont empressés de les enterrer dans un scénario digne de Shakespeare. À Hollywood, on préfère lancer des divertissements à gros budgets pour les enfants de douze ans et des séries Z. Que reste-t-il de créatif dans l’industrie ? Le phénomène Quentin Tarantino, certes, et hors celui-ci, parmi les indépendants, David Cronenberg, James Gray, David Lynch, les frères Coen, Gus Van Sant, Todd Haynes, Abel Ferrara, Steven Soderbergh, etc. Le cinéma américain reste donc très créatif même en dehors des machins foufous dont Hollywood s’est fait une spécialité. On comprend bien qu’on soit nostalgique des grands studios d’avant-guerre, la Warner, la Paramount, la Columbia, United Artist, etc. d’autant qu’en découvrant en DVD les films qu’ils ont produits, on est estomaqué par tant d’originalité et de créativité, du muet au parlant. Bon, au change de siècle.