Trafic 87
Raoul Walsh, dans la vraie vie, était aussi actif que les personnages qu'il filmait et pour qui l'action prédomine. Voici un exemple pris dans son autobiographie (1). Lors de la soirée d'anniversaire, à Hollywood, du couple William Randolph Hearst et Marion Davies, un faux prince roumain repousse le magnat de la presse et danse avec Marion Davies, éberluée, qu'il se met à draguer. Pour la sortir de cette mauvaise passe, Walsh repousse le « prince » qui lui met la main au collet. Walsh lui envoie un direct à la mâchoire, et l'étend parterre. Le lendemain, Winston Churchill, qui était présent à la réception, l'approuve et lui dit : « C'est bien fait pour lui. À propos, quand vous viendrez en Angleterre, surtout, faites-moi signe. J'aurais deux membres des Communes à vous indiquer. Je serais ravi que vous leur régliez leur compte! » (1).
Le numéro d'automne de Trafic consacre trois articles à des films de Raoul Walsh, réalisateur borgne (comme John Ford et Fritz Lang) qui a abordé tous les genres, du western au film policier, en passant par les histoires de cape et d'épée ou les films de guerre.
L'article intitulé Crise, compulsion et création : Raoul Walsh et son cinéma de l'individu de Dave Kehr cherche à saisir le fonctionnement d'un cinéaste pour qui l'action et les aventures sont primordiales : « Le pouvoir rédempteur de l'action », comme l'écrit Kehr. « Chez Walsh, bien plus que chez Ford ou Hawks, le héros traverse une crise personnelle. Alors que les personnages fordiens se définissent en acceptant leurs amis et leurs aptitudes professionnelles, le héros de Walsh, lui n'a rien à quoi se raccrocher ». Cet individualisme n'a rien d'absolu. L'énergie personnelle est positive ou négative. Ses héros, qui ont une relative retenue, ont un double incarné par un dur à cuire qui ne maîtrise pas sa propre énergie. Les deux se confrontent comme les personnages de James Cagney dans The Roaring Twenties et Humphrey Bogart dans They Drive by night (Une femme dangereuse) deux films de Georges Raft. Martin Scorserse, grand admirateur de Raoul Walsh, a repris cette structure dans Mean Streets, l'un de ses premiers films.
Fabrice Revault intitule sont texte, Electric Walsh, Manpower (L'Entraîneuse fatale). Il nous parle de l'énergie chez Walsh sous ses différentes formes : l'électricité, le gaz, les tempêtes et le feu mais aussi les bagarres dans ses films noirs ou les chevauchées dans ses westerns (comme The Big Trail (La Piste des géants) le premier film dans lequel John Wayne tient le rôle principal).
Ce brigand-là, texte de Pierre Gabaston, s'organise autour de Colorado Territory (La fille du désert), autre grand film de Walsh qu'il lie à High Sierra (La Grande évasion). Deux hors-la-loi dont l'horizon se termine dans la Sierra Nevada (High Sierra) et dans le Canyon de la Mort (Colorado Territory). Il s'agit-là du même scénario, du film noir à un western que huit ans séparent.
La ligne de mire ou la répétition originelle de Jean-Paul Fargier est une sorte de roman vrai sur les aventures de Jean-Daniel Pollet qui occupe une place singulière dans le cinéma français. La poésie et la comédie ont été ses principaux atouts, mais aussi les défis auxquels il n'a jamais cessé de se soumettre. Côté comédie, on lui connaît quelques pépites comme L'amour c'est gai, l'amour c'est triste et L'acrobate, deux films basés sur l'alliance entre un réalisateur (Pollet) et un personnage découvert dans une guinguette (Claude Melki). Cette rencontre qui a un côté Truffaut-Léaud avait démarré dans deux étonnants courts métrages : Pourvu qu'on ait l'ivresse et Rue Saint-Denis. Côté poésie, son autre veine de cinéaste, on connaît Méditerranée dont Philippe Sollers a écrit le texte et Alain Duhamel la musique et qui reste le grand film poétique des années soixante.
Qui est donc ce Jean-Daniel Pollet, cinéaste dont Jean-Pierre Melville, après avoir vu Pourvu qu'on ait l'ivresse avait dit : « Après, tu feras peut-être aussi bien, mais jamais mieux ». Qu'est devenue cette promesse d'un cinéma comique « made in France », basé sur le corps burlesque de Léon/Melki ? Jean-Paul Fargier, en écrivant un livre sur l'Odyssée du cinéaste, découvre le filon manquant de son itinéraire, le film absent, raté, oublié, disparu, détruit, évanoui, inexistant qui figurait dans les archives de la Cinémathèque de Toulouse. Tourné en 1959, un an après Pourvu qu'on ait l'ivresse, au début de la Nouvelle vague, La ligne de mire a droit à l'éloge de Jean-Luc Godard. Godard se rend sur le tournage du film, et écrit que Pollet, scénariste, metteur en scène et producteur de vingt trois ans sera le seul réalisateur français à avoir tourné son premier long métrage au même âge qu'Orson Welles (Cahiers du Cinéma n°93). Fargier écrit qu'il essaie d'élucider les raisons de la malédiction qui avait frappé le premier film génial d'un jeune homme de vingt trois ans. Sorti des oubliettes de l'histoire, La ligne de mire sera projeté à Paris, en novembre 2013, dans le cadre des films restaurés.
Brian De Palma a droit à deux articles après la sortie de Passion, son dernier film, qu'Elsa Boyer dans De Palma, la ligne déréglée compare au Dalhia noir réalisé 6 ans plus tôt.
Juliette Goffart intitule son texte Les écrans partagés de Brian De Palma. Le split screen (l'écran partagé) apparaît comme une rime visuelle dans beaucoup des films de De Palma. Il est utilisé dès Dionysos in 69, l'un de ses premiers films, une captation musicale, à deux caméras, d'une pièce de théâtre. Puis dans Sisters (1973) Carrie (1976), Snake Eyes (1998) et Passion (2012).
Certes, le split screen peut être envisagé comme le spectacle voyeuriste d'une scène érotique ou d'un meurtre (Eros et Thanatos) qu'on renvoie au spectateur bien assis dans une salle de cinéma, mais aussi, comme le souligne Goffart, comme une multiplication des points de vue. D'où l'idée récurrente chez De Palma qu'une image en cache toujours une autre. «Contrairement à Godard, je crois que le cinéma, c'est du mensonge à vingt-quatre images par seconde», n'a-t-il cessé de dire.
(1) Un demi-siècle à Hollywood, de Raoul Walsh, édité par Ramsay poche
Trafic 87, automne 2013, 17 articles consacrés au cinéma et édité par P.O.L.