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Train de Vie de Radu Mihaileanu

Publié le 01/01/1999 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Réalisé en coproduction avec la Communauté française de Belgique, Train de vie, deuxième long métrage du roumain Radu Mihaileanu se greffe sur le paysage sombre de la deuxième geurre mondiale pour nous raconter à hauteur d'homme, l'errance du peuple juif. Un très beau film, caustique et chaleureux, qui suinte la vie par tous les pores de sa pellicule. Présenté en opposition à Schindler's List par son réalisateur lui-même lors de la campagne de promotion du film, il serait dommage de voir le film ainsi naïvement détourné de son propos.

Train de Vie de Radu Mihaileanu

L'âme Yiddish

En plein milieu de la seconde guerre mondiale, un petit Shtetl (village juif d'Europe centrale) vit paisiblement, tellement loin du monde que celui-ci ne l'a pas atteint... pas encore. Mais Schlomo, l'innocent du village, revient avec une nouvelle terrifiante : là-bas, dans les Shtetls voisins, les nazis arrêtent, emprisonnent les juifs. Ils les frappent, les déportent, pillent leurs biens. Devant le conseil des sages se lamentant sur cette funeste nouvelle, c'est encore Schlomo, le fou, qui aura l'idée d'un stratagème pour les sortir de là. Une idée de cinglé, ça oui! Organiser un faux train de déportation où tout le village prendrait place, certains en déportés, d'autres en soldats allemands et tenter de gagner ainsi, via la Russie, la terre promise : eretz Israël. Le train ? On le trouvera ! Le machiniste : on le formera ! Les costumes et les uniformes, on les coudra ! Parler l'allemand sans accent Yiddish ? Il suffit d'abandonner l'humour (sic !). Et le reste ? Dieu y pourvoira... et l'argent de Mordechaï, le marchand de drap.
Il y a trois parties dans le film de Radu Mihaileanu. Primo : une prise de contact avec les personnages et la situation jusqu'au moment où le conseil accepte l'idée du fada. Secundo : la réalisation de ladite idée où, chez les villageois, l'ingéniosité et l'imagination suppléent au manque de moyens. Tertio : le voyage et ses embûches. En fil conducteur, la découverte de cette petite communauté villageoise, archétype de toute société humaine, à travers des personnages pittoresques et attachants, servis par une excellente interprétation et par la fantaisie du scénariste réalisateur. Parce que, vous l'aurez compris, si vous cherchez une once de vraisemblance dans cet amoncellement de situations plus dingues les unes que les autres, abandonnez toute espérance. Si vous acceptez par contre de vous laissez aller, sans trop de souci de réalisme, au gré du rythme de plus en plus rapide imprimé par le réalisateur, vous pourriez en éprouver du plaisir.


Du plaisir ? Avec ces choses là ? Mais comment osez-vous ? Rassurons les esprits chagrins, toute polémique entretenue autour du sujet est un mauvais procès. Tout comme pour l'admirable fable de Roberto Begnini sur le pouvoir, si le grand massacre est ici présent, ce n'est qu'en toile de fond, comme ressort dramatique. Aucune trace d'irrespect ni d'aucune forme de banalisation n'est décelable dans le propos de ces films qui portent un regard des plus indirects sur la Shoah. Elle n'est le thème central du film ni dans un cas ni dans l'autre. La lutte contre l'oppression est au centre du film de Begnini, et l'exode qui anime celui de Mihaileanu. Et à travers ce mythe de l'errance créatrice, c'est l'âme profonde du peuple juif qu'exaltent le réalisateur et l'équipe de production (juive) de Train de vie.

 

Le cinéaste roumain en fait une ode à l'ingéniosité, à l'adaptibilité, mais surtout un acte de foi en l'homme. Certes, tout n'est pas rose dans cette communauté où mesquineries, calculs à courte vue et recherche de l'intérêt personnel sont loin d'être absents, mais le moteur en reste la solidarité (cette communion avec les tziganes à la fin du film est une excellente idée) et l'union face à l'adversité. Ceux qui classeront cette manière de voir au rayon des gentillesses idéalistes n'auront peut-être pas tort, mais face aux américonneries violentes et paranoïdes qu'on nous matraque à longueur d'année, un peu trop de gentillesse irréaliste ne pourra que contribuer à équilibrer la balance. La liberté de l'artiste, c'est de rêver sans barrières Mordious! La plus belle scène du film est peut-être celle ou Schlomo (le bouffon, le créateur, l'artiste, bref, l'identification du réalisateur) explique à Mordechaï, le marchand, comment il est devenu le fou du village. Et cela ne fait pas de mal d'écouter parfois la sagesse des fous.

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