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Un Cinéma en quête de poésie (sous la direction de Nadja Cohen)

Publié le 15/10/2021 par Kevin Giraud / Catégorie: Livre & Publication

Que celui qui n'a jamais, d'entre nous critiques et exégètes du cinéma y compris sur ce même site, utilisé le terme "poétique" pour parler du 7e art jette la première pierre.

Mais que se cache-t-il réellement derrière cette "poésie du cinéma" et surtout, existe-t-il une, plusieurs, ou au contraire aucune raison de qualifier les œuvres cinématographiques de lyriques ou de poétiques ?

Un Cinéma en quête de poésie (sous la direction de Nadja Cohen)

En publiant Un cinéma en quête de poésie, la chercheuse Nadja Cohen rassemble une série de textes édifiants - issus en majorité des actes du colloque “Un cinéma poétique ?” organisé par la KULeuven et la Cinematek en 2019 - sur les liens existant entre cinéma et poésie depuis les premières occurrences de cette relation, et ce qu'elles soient formelles ou plus simplement liées aux contenus traités. Car il existe bien entendu des films traitant de poésie ou de poètes, mais ceux-ci ne représentent qu'une minorité des films qualifiés de "poétiques", alors même qu'ils ne sont parfois eux-mêmes pas poétiques du tout.

Des utilisateurs de l'adjectif poétique pour qualifier le cinéma, il en existe autant du côté des cinéastes que des critiques. Parmi lesquelles des figures centrales comme Pier Paolo Pasolini ou Jean-Luc Godard, mais aussi Jean Cocteau, Andreï Tarkovski ou même dans plus récemment Jim Jarmusch. Mais à chacun sa vision du poète, car si ces définitions théoriques se recoupent en certains points, elles peuvent également diverger fondamentalement dans leur mise en application. Pour certains, la poésie sera l'absence de scénario, la liberté de l'improvisation. Pour d'autres comme Raoul Ruiz, ce sont "les accidents magiques, les changements d'avis, les découvertes", par opposition au programme rigide d'une trame narrative trop écrite. Impossible pour nous d’évoquer ici l’ensemble des analyses édifiantes regroupées dans cet ouvrage, mais mentionnons néanmoins que, sans trop de surprises, ces créateurs et critiques semblent trouver un commun accord sur la définition d'un cinéma "poétique" s'affranchissant des contraintes des systèmes de production classiques. Et ce, que l’on se trouve devant l’écran ou derrière la caméra.

En ce sens, le court-métrage serait-il plus propice à l'apparition du poétique, comme l'affirment les créateurs de Ciné Poème ? Ou serait-ce le cinéma d'animation, par sa capacité à en dire plus que le réel ? Tout dépend de la définition choisie par le programmateur, le critique ou le cinéaste. Voire même, de la conception de la poésie elle-même. Car celle-ci reste, comme celle de la poétique, sujette à l’interprétation subjective de chaque cinéaste. Ainsi, Godard le poète “exilé sur ses terres de cinéma” s’oppose à Jarmusch, “poète du dimanche” désacralisant la poésie pour la réintégrer à la banalité du quotidien dans Paterson. Et que dire du slam ? La contribution de Jan Baetens à cet ouvrage vous fera remonter à des origines méconnues avec Night Mail, documentaire britannique de 1936. 

Riches d’approches et d’hypothèses et pour paraphraser son autrice, Un cinéma en quête de poésie éveille l’esprit critique du lecteur sans pour autant apporter de réponses toutes faites sur ce qu’est ou n’est pas “la poétique du cinéma”. Les multiples significations qui peuvent être conférées à ce terme n’auront par contre plus ou presque de secrets pour vous, lecteur assidu. Et les conclusions éclairantes de Nadja Cohen concluront une aventure riche en découvertes, aussi bien littéraires que cinématographiques.