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Un film & son époque, Serge July

Publié le 15/04/2014 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Événement

Le charme indiscret du cinéma

Ceux qui se souviennent des grandes heures de la télévision sur le cinéma ont la nostalgie d'émissions cultes, comme Cinéma de notre temps et Cinéma Cinémas. Depuis quelques années, d'abord sur Arte et ensuite sur France 5, une émission équivalente intitulée Un film & son époque a fait son apparition. Cette collection créée par Serge July et Marie Génin compte déjà une trentaine de titres, allant des années 1933 à 1999. La série continue sur France 5 avec des films intégrant le début du 21ème siècle. 

Un film & son époque, Serge July

Comme les livres ou les peintures, certains films se perpétuent, deviennent immuables et, en même temps, reflètent l'époque où ils ont été tournés. Ils rendent visible l’époque où le cinéaste l’a crée, mais aussi l’époque où les spectateurs l’ont reçu. L'histoire, grâce aux images mobiles qu’offrent le cinéma et la télévision, apporte une nouvelle forme d'expression du temps dans laquelle le passé s'invite dans notre présent.

Rome ville ouverte de Roberto Rossellini, par exemple, présente un moment dramatique d'une Europe dévastée par la guerre 40-45. Le film intègre de multiples dimensions d'une même réalité et signe l'acte de naissance du cinéma moderne via le néo-réalisme, tandis que Le Mépris de Jean-Luc Godard nous révèle le fossé qui ne cesse de s'agrandir entre le classicisme et la modernité, mais aussi la béance entre l'art et le mercantilisme des « produits artistiques ».
Chacun des documentaires de Un film & son époque est basé sur une corrélation structurée autour d'extraits du film présenté, du point de vue créatif du réalisateur, à partir des archives filmées et photographiques, d'entretiens avec différents protagonistes qui ont aidé à la réalisation du film, ainsi que d'historiens, de sociologues, d’artistes d'aujourd'hui qui revisitent le film… et son époque. Il s'agit donc, pour cette trentaine de films documentaires passionnants consacrés à une époque historique précise de l'Occident qu'ils montrent, de dévoiler des angles différents (1).
La collection débute avec un film des années trente (King Kong) et donc avec l’image d’une économie industrielle qui remplace l'agriculture traditionnelle et continue jusqu’à nos jours avec l’accélération du temps grâce à la technologie de l'actuelle révolution numérique (le remplacement du cerveau par l'ordinateur, pour être bref). Entre ces deux périodes, la fin des années 60 où la visibilité devient le nouveau code, est une ère de la transparence et celle de la reproductibilité commerciale que va proposer Andy Warhol. Cette image-marchandise, propre à l'esthétique publicitaire, rassemble la subjectivité et la modernité, mais c’est aussi un raccourci entre la modernité historique et la modernité artistique qui va s'imposer dans le monde occidental. Au niveau d'un film emblématique sur ce changement d'optique, signalons Orange mécanique de Stanley Kubrick (1971) qui est également traité dans la collection Un film & son époque (Il était une fois… Orange mécanique - 52’ - 2011).

Le Centre du Film sur l'Art et Cinematek (salle Flagey) ont proposé quatre de ces films, du 14 au 16 mars de cette année, en présence de Serge July. Les films sont également projetés avec les longs métrages durant tout le mois d'avril au Studio 5 de Flagey. 

Mon Oncle de Jacques Tati, en copie restaurée, sera suivie de Il était une fois… Mon Oncle. Le film est marqué par les débuts de la modernité en Europe et en France, une France qui va changer de civilisation, passant de l'agriculture à l'urbanisation accélérée. Les gags de cette comédie burlesque où domine le son (bruitage souvent inaudible) tournent autour de la famille Arpel installée dans une villa moderne où tout est automatisé. Monsieur Hulot, l'oncle, est, lui complétement dépassé par le wagon de l'ultra-modernité. La France est dans l'euphorie d'une croissance que l'on va appeler l'âge d'or des Trente Glorieuses. On change de cycle, on acquiert des équipements domestiques en teck ou en plastique, on lance une société dite « d'abondance »; des grandes cités prolifèrent à l'extérieur du centre de Paris, la télévision en noir et blanc multiplie ses audiences, même si les chaines ne sont pas aussi nombreuses qu'aujourd'hui. Les sociologues – et on peut en sourire – appellent ce progrès « la société des loisirs ».
Certains l'aiment chaud de Billy Wilder et Il était une fois… Certains l’aiment chaud. En 1929, deux musiciens sont repérés par des tueurs pendant le massacre de la Saint-Valentin. Poursuivis par les mafieux, ils se déguisent en femmes et se retrouvent dans un orchestre féminin dont ils complètent l'effectif. Cette comédie burlesque se termine entre le musicien et le milliardaire âgé qui veut l’épouser. Lorsque le travesti avoue son identité, le vieux monsieur plein d'argent lui répond avec cette phrase devenue célèbre : « Nobody is perfect ». Entre autres informations, on apprend dans le documentaire que le noir et blanc a été choisi par Billy Wilder à contre-courant, à une époque ou le cinémascope couleur s'imposait. Une façon intelligente pour le cinéaste de cacher le visage masculin des deux comédiens travestis.
Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy, Palme d'or au Festival de Cannes en 1964. L'Algérie vient de proclamer son indépendance. Cette guerre a coûté la vie à 300.000 Algériens et 55.000 Européens. Le film exprime donc, au-delà d'une comédie mélodramatique chantée, le malaise de toute une génération mobilisée de force, de novembre 54 à juillet 62. Les chansons et la musique que nous explique, les mains sur les touches de son piano et la voix chantante, Michel Legrand, sont des moments magiques.

Le Charme discret de la bourgeoisie, une boîte à tiroir comme les aimait Luis Buñuel pendant sa période française qui a démarré, comme le souligne Jean-Claude Carrière, son scénariste, par La Voie Lactée. Dans le film, la différence entre rêve et réalité cesse d'exister. Buñuel, nous dit Charles Tesson, est dans une crête étroite où tout est possible, et pas du tout dans l'univers fantastique traditionnel mais dans l'ouverture vers différentes possibilités d'interprétation. Mais on n’échappe pas à son temps, même lorsqu'on évoque le présent comme une pièce de théâtre surannée. 1972 est aussi une période où l'Amérique latine est en ébullition, de nouvelles dictatures s'installent au Chili, au Brésil et en Argentine. En Espagne, le long épisode d'une société dominée par Franco se termine.

Ces documentaires offrent un regard analytique en dévoilant sept décennies du 20e siècle. Ils montrent que toute forme artistique n'est pas qu'une actualité, une sorte de fable qui ne dure qu'au fil du temps, mais que le processus de l'esprit d'une époque, sa perception collective y est aussi présent. Un film & son époque est à voir et à revoir.


(1) Le cinéma est un instrument du soft-power, un processus parfaitement maîtrisé par Hollywood à travers de nombreux films qui reflètent une certaine vision de la société. Le plus souvent à travers des fables dans lesquelles vérité et mensonge forment une sorte de couple parfait. Mais le cinéma n'est pas univoque. Les films orientaux ou extrême-orientaux – de l'Iran aux trois territoires de la Chine en passant par le sud-est asiatique – montrent des images d'un univers à l'espace-temps complétement différent de ce que propose l'Occident.


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