Cinergie.be

Un héritage empoisonné d’Isabelle Masson-Loodts

Publié le 07/06/2019 par Marine Bernard / Catégorie: Critique

Dans les années 1920, la Belgique et la France se sont débarrassé des rebuts chimiques de la Grande Guerre sur des territoires défavorisés, les enfouissant à quelques centaines de mètres malgré l’opposition des populations locales. Ce fut un exercice périlleux qui a mobilisé des milliers d’hommes et d’immenses moyens financiers. Très vite, les autorités ont entouré ce fait aberrant d’un voile d’amnésie, temporisant ses effets néfastes par des discours mensongers. En réalité, ces procédures réalisées dans l’urgence et la précipitation, ont d’une part, provoqué la mort de milliers de personnes et d’autre part, rendu impossible la mise en culture des terres pendant plusieurs années. Bien que d’importants travaux soient en cours, cet héritage toxique représente aujourd’hui une véritable bombe à retardement qu’il est indispensable de désamorcer.

En menant des recherches approfondies sur le sujet, l’archéologue et journaliste Isabelle Masson-Loodts s’est rendu compte de l’immense déni qui entourait ces pollutions et surtout qu’il existait, dans plusieurs régions, des zones qui en contenaient encore. À travers ses multiples rencontres, ses recherches et ses interviews, elle tente de rendre compte de l’ampleur de cette réalité. Dans un premier temps, elle nous présente les paysages contemporains de l’ancienne ligne de front de 14-18 dans le département de la Meuse, à Muzeray et à Bure. Elle y donne la voix à ceux qui vivent au quotidien, avec les traces de cette guerre bouleversante et qui tentent, tant bien que mal, de transformer ces anciens champs de bataille en champs de culture. Elle appuie leurs témoignages de plusieurs photographies d’après-guerre. Nous vivons un véritable parcours historique à la fois déconcertant et angoissant. Dans un second temps, elle dénonce une problématique encore plus inquiétante. Actuellement, l’ANDRA, l’Agence Nationale de Gestion des Déchets Radioactifs, veut enfouir à des centaines de mètres les déchets des industries nucléaires de la même façon que les milliers d’obus. Cette agence utilise des stratégies très persuasives pour calmer les populations. La réalisatrice montre que, malgré les pressions, beaucoup d’habitants se mobilisent pour lutter contre cet immense projet de poubelle nucléaire. C’est la première fois qu’un lien est créé entre les séquelles environnementales du premier conflit mondial et celles de l’industrie nucléaire.

Si ce documentaire grinçant apparaît à première vue comme une piqûre de rappel pour la mémoire collective, il doit également être appréhendé comme un terrain de recherches pour mettre en place un avenir humain dans le respect de son environnement. En rappelant ces faits, Isabelle Masson-Loodts cherche à nous sensibiliser sur une question essentielle : si un siècle à peine a suffi à plonger dans l’oubli cet héritage dévastateur, comment préserver les générations futures des déchets nucléaires qui contamineront très probablement les sols  prochainement ?

Tout à propos de: