Cinergie.be

Un peuple et son roi de Pierre Schoeller

Publié le 21/09/2018 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Il était une fois la Révolution

D’où vient ce gène français de liberté, d’égalité, de fraternité, de République ? Pourquoi la Révolution de 1789 n’en finit-elle pas de hanter la France d’aujourd’hui ?... Mettre en parallèle l’évolution d’un peuple qui gronde avec l’effondrement de son Roi décadent, proposer une radiographie du présent via les évènements du passé, expliquer la Révolution comme un acte fondateur de la pensée politique et de la démocratie… Tel était le pari de Pierre Schoeller. C’est le succès de L’Exercice de l’état en 2012, excellent thriller dans lequel le cinéaste avait su concilier regard documentaire et critique acerbe de la politique contemporaine, qui lui a permis d’envisager cette ambitieuse odyssée des sans-culottes. Son idée initiale était de réaliser un dyptique : deux films qui couvriraient l’intégralité de la période révolutionnaire : Les Années Lumière (1789-1793) et les Années Terribles (1793-1795), à l’instar de la longue fresque (5h30) co-réalisée par Robert Enrico et Richard T. Heffron en 1989, à l’occasion du bicentenaire. Mais en prenant le contrepied total de cette laborieuse production aujourd’hui largement oubliée…

Le projet, reconstitution historique oblige, nécessitait un budget pharaonique d’au moins 30 millions d’euros. Après avoir essuyé de nombreux refus, Schoeller et son producteur Denis Freyd (qui a produit la plupart des films des Frères Dardenne) proposent leur projet à Studio Canal, qui s’engage, mais refuse de produire les deux épisodes d’un coup. Trop cher, d’autant plus que le succès commercial d’un film historique français est, de nos jours, loin d’être garanti. Le cinéaste est donc contraint de revoir ses ambitions à la baisse pour rentrer dans les clous budgétaires : de nombreuses scènes (les batailles aux frontières) sont supprimées, la figuration est réduite... Conséquence malheureuse de ces réécritures, certains personnages (Gaspard Ulliel, Céline Sallette, Louis Garrel en Robespierre) semblent un peu absents ou ne font que passer, dans l’espoir d’apparaître plus longuement dans l’épisode 2. Le peuple insoumis est composé de personnages aux motivations parfois trop confuses dont les arcs narratifs (qui devraient logiquement se poursuivre dans la deuxième partie) s’avèrent trop elliptiques. Seul le personnage du maître verrier incarné par Olivier Gourmet, acteur fétiche du réalisateur, fait réellement l’objet d’une caractérisation aboutie. L’accent est davantage mis sur certaines figures historiques (Marat, incarné tel un histrion colérique par Denis Lavant) et surtout sur Louis XVI (fabuleux Laurent Lafitte, entre sobriété et colère larvée) dans des scènes tantôt hyperréalistes tantôt fantasmatiques, où le monarque passe du statut de représentant du peuple à celui de paria.


Un peuple et son roi

 

L’impression globale, malgré de belles fulgurances, est celle d’un film inachevé, réécrit dans l’urgence. A l’heure actuelle, on ne sait pas encore si le second volet verra le jour. En cas d’échec commercial, Un Peuple et son Roi pourrait rejoindre Le Seigneur des Anneaux de Ralph Bakshi et la trilogie marseillaise de Daniel Auteuil (Fanny, Marius… mais pas de César !) dans la triste liste des grands projets maudits, à jamais inachevés.

Un tel sort serait injuste car, depuis le début, un malentendu de taille plane sur le projet. Un Peuple et son Roi n’a pas été conçu comme une fresque spectaculaire, ni comme une illustration du style « page Wikipédia » de la chronologie des faits, mais comme une réflexion sur l’importance de la politique et de la langue françaises (les discours de Robespierre et de Marat, les joutes verbales à l’Assemblée Nationale, les débats du peuple), comme une immersion quasi-documentaire dans un monde à la reconstitution minutieuse (le moindre costume, accessoire ou décor a fait l’objet d’une étude approfondie). Foisonnant, mais toujours passionnant malgré le sentiment d’inachevé, Un Peuple et son Roi est rempli de visions mémorables : l’épisode de la Nuit de Varennes, l’Assemblée qui vote la mort du Roi, les emportements de Marat, les journées d’Octobre, la Bastille qui tombe et laisse la place aux rayons de soleil, le cauchemar du Roi où ses prédécesseurs viennent lui reprocher sa faiblesse et enfin, son exécution qui clôt le film… Le réalisateur met aussi l’accent sur l’espérance des révolutionnaires, symbolisée par les chants de Céline Sallette.

 


Un peuple et son roi de Pierre Schoeller

 

Studio Canal espérait sans doute un spectacle « à la Claude Berri », avec des batailles enflammées, une histoire d’amour, un soupçon d’érotisme et des envolées héroïques et romanesques. Le studio se retrouve avec un ovni politique anti-spectaculaire, un film au sérieux papal qui, sur le modèle du Lincoln de Steven Spielberg, analyse la naissance d’un état démocratique et fait le portrait de l’héroïsme ordinaire et tente, à ses risques et périls, de prendre à rebours toutes les conventions du grand cinéma populaire français. Selon les goûts et les attentes, le public appréciera ou ne manquera pas de lui reprocher cette approche. Vu l’ambition démesurée du film dans son propos, on espère que tous ces efforts n’auront pas été vains et que la deuxième partie, intitulée Un Monde Nouveau, ne passera pas tout simplement… à la guillotine !

Tout à propos de: