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Une histoire mondiale des cinémas de propagande

Publié le 03/11/2008 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Livre & Publication
histoire mondiale des cinémas de propagande Premier ouvrage de synthèse en langue anglaise sur l’ensemble du cinéma de propagande (après diverses versions anglo-saxonnes). Trente-trois textes structurés en quatre chapitres : 1) Les origines de la propagande filmée, 2) L'entre-deux-guerres, 3) La seconde guerre mondiale, 4) Les années 1950-1960, qui abordent à la fois l’actualité, le documentaire et le film de fiction de 1898 à 1970. L’ouvrage suit une chronologie qui renvoie à l’Histoire (avant l’explosion de la télé, de la pub et d’Internet). Un vingtième siècle qui développe encore une propagande uniquement politique, fondée sur une idéologie. Retenons les textes sur le cinéma soviétique de François Albera et sur le cinéma nazi de notre compatriote Roel Vande Winkel. Pour illustrer ces propos,  quatre heures d’archives cinématographiques en DVD. Démarrons avec l'URSS, aujourd’hui disparue. Dans les années 20, la production cinématographique répondait à une demande de l’Etat et du parti bolchevik en fonction de leurs besoins pendant la guerre civile. Lounatcharski crée l’agit-prop (agitation et propagande) : « Il y a donc nécessité de développer une propagande à l’intention des masses populaires, afin d’augmenter leur adhésion au régime et à ses valeurs ».

Que devient, parmi l’agit-prop (hallucinant dans les extraits vidéos présentés : les femmes au boulot, les hommes fusils à la main, les couples avec le drapeau rouge) Le Cuirassé Potemkine de Serguei Mikhaïlovitch Eisenstein, ce monument du cinéma à l’instar de Naissance d’une Nation (The Birth of a Nation) de David Wark Griffith aux Etats-Unis ? En 1924, Eisenstein est sollicité afin de réaliser un film qui célèbre l’anniversaire de la révolution de 1905. « Il lui faut, à partir d’un scénario qui a été choisi par le comité (notamment composé de Malevitch, Meyerold…) et qui embrasse toute l’année 1905 (premier titre du film) – figurer les événements, exalter l’héroïsme des acteurs de ce mouvement précurseur ». Le Cuirassé Potemkine « est assurément un outil de propagande pour les idéaux de la révolution socialiste : il présente la situation des rapports sociaux sous l’ancien régime dans le microcosme de l’équipage d’un cuirassé de la marine impériale.»

Comment rester un artiste dans l’URSS qui a proclamé « l’abolition de l’art » alors même que, depuis le XIXe siècle, le pays a soutenu le statut de l’intellectuel et de l’artiste qui « éclairent le Peuple » (Andreï Tarkovski et Alexandre Sokourov vont rester dans ce topique). 

Le cas Eisenstein est donc loin d’être simple : coincé entre l’enclume, le marteau et la faucille, le Cuirassé Potemkine apparaît, pour l’avant-garde artistique des années vingt, comme une nouvelle manière de faire du cinéma et pas uniquement comme une publicité pour l’URSS.

On admire son style utilisant le nombre d’or cher aux peintres, son cadrage particulier de l’expression dans les gros plans, le lyrisme des mouvements de foule en plan large et le rythme, musicalement juste, du montage. Que le film ait ennuyé son producteur, la Sovkino, au point de couper une série de plans n’est pas surprenant. Jusqu’en 1928, le cinéma dépendant de l’Instruction Publique aura plus de possibilités qu'après son passage sous la tutelle du ministère de l'Industrie, lors du premier plan quinquennal.

Continuons avec la propagande dans l’Etat nazi, dernier engrenage d’un système cinématographique tant pour les fictions que pour les documentaires et les actualités avant « l’ouverture commerciale de la télévision ». Deux personnages au sommet de la pyramide du cinéma : Joseph Goebbels, ministre de la propagande et le Führer Adolf Hitler, impliqués personnellement dans le choix des films (qui les fascinent et qu’ils regardent la nuit pour calmer les insomnies). À cette époque, l’Allemagne a la volonté de transformer l’UFA des studios de Babelsberg à Berlin, en Hollywood européen.

Le cinéma est perçu « comme un instrument important de la diplomatie publique, un moyen d’influencer les territoires conquis (ou neutres) ». Goebbels contrôle les actualités cinématographiques dont le rôle consiste à préparer la nation allemande au déclenchement de la guerre. Les cameramen appartenant aux unités de propagande filment avec des caméras portables 35mm Arriflex ou Siemens 16 mm (plus légères) les scènes d’action et de batailles. « Les actualités cinématographiques allemandes étaient aussi remarquablement bien montées et influencèrent stylistiquement les actualités cinématographiques des nations amies ou neutres, mais aussi ennemies comme l’AFPU anglaise. »

En regardant, sur le DVD qui accompagne l'ouvrage, les actualités du front de l’Est, on y voit des scènes sidérantes (il n’y a pas que le tac, tac, tac des Stukas) avec des soldats de la Wehrmacht plein d’ardeur, aux corps olympiques dans leurs uniformes gris-verts, leurs bottes noires et les cadavres de bolcheviks jetés dans des fosses communes. Jonathan Littell, à qui l’on doit l’époustouflant Les Bienveillantes, nous explique, dans un autre livre, que « le fasciste, bien entendu, ne meurt pas : il tombe au champ d’honneur, il dépose sa vie, il se sacrifie, il fait le don de sa personne à son idéal ». Pour les bolcheviks, voici ce qu’écrit le spécialiste, Léon Degrelle qui est à l’origine du livre de Littell : « Sur les pistes, les cadavres des rouges pourrissaient, nombreux (…) des monceaux de Mongols et de Tatars gisaient, en pleine putréfaction, dégageant, par tous les orifices, des milliers de larves jaunâtres ». Commentaire de Littell : « Hélas, le fasciste a beau faire pour rejeter l’humide sur le bolcheviste et garder ses propres morts au sec, l’humide revient à lui ». Degrelle : « Tuer les rouges ne servait pas à grand-chose. Ils se reproduisaient comme des cloportes, se renouvelaient. »

Pour l’apologie du corps, non pas dans tous ses états, mais dans l’exaltation du corps masculin jeune, plein de volonté et de santé (ni gros, ni maigre), il y a, bien sûr, Leni Riefenstahl. Le Triomphe de la volonté (Triumph des Willens, 1935) et Olympia (1938) ses deux films-phares, impressionnent Roel Vande Winkel qui les trouve remarquables dans le développement du septième art. Ils le sont pour deux raisons, nous explique-t-il. « Ils furent réalisés par une femme, ce qui n’était absolument pas cohérent avec les points de vue du national-socialisme sur le rôle que les femmes devaient avoir dans la société.(…) Deuxièmement, ces deux films étaient des longs métrages documentaires, commandés par le parti nazi et patronnés par Adolf Hitler », donc hors de la tutelle de Joseph Goebbels. Nous sommes plus perplexes sur l’idéal sportif, la mise en valeur de la volonté à tout prix de ce chantre de la santé des corps qu’est Leni Riefenstahl (les handicapés ? on les flingue dans les camps d’extermination). Disons-le, les ouvrières sans âge, aux corps usés, aux visages marqués par le travail dans les documentaires tournés en URSS, contrastent avec ces corps virils, sculpturaux, musclés, froids comme des glaçons grimpant dans les montagnes et les glaciers vers la montagne sacrée du Reich et de son chef.

Pendant la seconde guerre mondiale, la kulturfilm, bien qu’indistincte de la propagande des actualités, produit de nombreux films sur la guerre. Le meilleur, Deutsche Panzer (1940) « glorifie la puissance militaire de l’Allemagne, mais surtout est réalisé par Walter Ruttmann, documentariste de gauche passé, en 1933, au service du nouveau régime. Curieusement, Roel Vande Winkel nous explique que l’antisémitisme n’était généralement pas un thème de propagande du cinéma allemand d'avant 1943. L’exception à cette règle susmentionnée, hormis Le Juif Süss de Veit Harlan (1940) et quelques autres longs métrages aux tendances modérément antisémites, fut le documentaire de long métrage Der Ewige Jude (le Péril juif, 1940) produit avant que le pouvoir nazi ne décide d’exterminer les juifs sans laisser d'images.

Terminons avec le cinéma de propagande dans la Chine maoïste. Personnages positifs, absence de sexualité (sauf entre Mao Zedong, grand Don Juan, et les alertes gardes rouges), se retrouvent dans Hongse nianzi jun (Le Détachement féminin rouge), le film mélodramatique le plus connu. L’héroïne Quionghua, cherche à se venger du propriétaire terrien qui a tué son père et tombe amoureuse de Hong « qui le lui rendait bien, mais le film est sorti exempt des scènes où les deux personnages se déclaraient leur flamme. »
« La description de l’amour et du désir est ressentie uniquement par l’imagination, et selon des allusions très chastes…rien de nouveau car il faut rappeler que le puritanisme est une constance de la société chinoise traditionnelle, fortement marquée par le confucianisme. »
Le héros principal domine les films. Il est empreint d’une rigidité phallique, porte tout : des drapeaux, des discours, des slogans et des mots d’ordre. « Nous remarquons aussi la présence de plusieurs personnages de sexe féminin, mais qui n’ont aucune connotation érotique : il s’agit de corps obligatoirement sains, lisses et asexués » (Charles Tesson, Nuits de Chine, Cahiers du Cinéma n°351, 1983).

Bonus

La propagande évolue, change en passant d’un aspect purement politique à un aspect devenu plus sociologique. Celui-ci étant destiné à nous imposer des modèles de comportement de façon inconsciente, à travers nos habitudes, notre façon d’être. Les films (fiction comprise) expriment le mode de vie d’une société, son « way of life ». Il reste donc une suite à écrire sur la propagande du marché et de l’idéologie libérale diffusée ad vitam aeternam par la pub à la télé.

Rappelons l’humour des situationnistes sur la propagande de la société du spectacle lorsqu’ils utilisent des films de cul japonais (les séries de pink-eiga) sous-titrés, en français, de textes sur la lutte des classes. Impérial ! Comme leurs images de superbes filles nues (piquées à Playboy) qui, pendant les grèves des Asturies sous le régime de Franco, s’exclament : « Je veux baiser avec un mineur des Asturies, ce sont des hommes ».
(1) Le sec et l’humide
, Jonathan Littell, éditions Gallimard, par l’auteur des Bienveillantes. Ce livre commente la campagne de Russie, le livre ahurissant de Léon Degrelle, un Belge qui se proclamait le fils d’Hitler. Lire aussi, dans le même bouquin, Klaus Theweleit, cité par Littell, pour son petit ouvrage époustouflant intitulé Les Fantasmes mâles (Männerphanstasien) : « La fange, la boue, le marécage, le visqueux, la bouillie qui désignent l’ennemi, le « communisme » en tant que « marée rouge », la peur de tout ce qui liquéfie les corps, de la femme érotique, de la Flinterweib (« femme-soldat ») à laquelle le mâle-soldat oppose l’infirmière blanche, virginale, la verticalité de sa propre présence au monde, sa carapace corporelle endurcie, indissoluble ». Alléluia, Alléluia, Alléluia…

Une histoire mondiale des cinémas de propagande, sous la direction de Jean-Pierre Bertin -Maghit, Editions du Nouveau Monde + DVD-video de 4 heures d’archives.