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Une nuit de Alex Lutz

Publié le 23/08/2023 par Quentin Moyon / Catégorie: Critique

À l’heure de pointe dans le métro parisien, Nathalie entre en trombe dans la rame bousculant par mégarde Aymeric. Le ton monte, et une dispute éclate. Les sourires des autres passagers se dessinent, les yeux d’Aymeric et de Nathalie pétillent. Le courant passe, et cet affrontement se poursuit de manière plus frontale encore, les pantalons sur les chevilles, derrière le fin rideau d’un photomaton. Débute une déambulation nocturne, d’une nuit, une seule, dans laquelle ces deux “étrangers”, se vouvoyant avec difficulté, se dévoilent peu à peu fuyant leur quotidien.  

Une nuit de Alex Lutz

Le troisième long-métrage d’Alex Lutz, au petit budget et tourné en quatorze jours à peine, a la force d’être assez universel. Certes, il prend place dans les rues de Paris, mais le choix de filmer les personnages en gros plans, leur visage, leurs mains, tout en réalisant un montage où les ellipses sont reines, floute la réalité alentour, la relègue au second plan. Carpe Diem. Nous sommes dans l’instant, perdus dans cette nuit qui n’en finit plus, dans les pas de Julie Delpy et de Ethan Hawke. Nathalie et Aymeric lient des confessions nocturnes avec des rencontres incongrues, dans les couloirs étroits d’une fête étudiante, qui donnera lieu à une réflexion nostalgique sur ce que c’est que d’avoir 20 ans. Jusqu’aux fourrés du bois de Boulogne qui rappelle l’autre film français intitulé Une nuit, celui de Roschdy Zem sorti en 2012 et qui nous plongeait dans la réalité d’une brigade mondaine. Ou bien façon Eyes Wide Shut, dans les bras d’inconnus, en plein cœur d’un bar libertin, les ramenant toujours plus l’un vers l’autre.
La passion équine du réalisateur et acteur principal les mènera même à un face-à-face mystique avec un cheval blanc quasi onirique. Comme un rappel via cet animal, souvent monté par des héros au moment de triompher des forces du mal, que rien n’est anodin dans cette œuvre. Un indice, un de plus, sur la fin un peu trop mélodramatique de ce film qui n’en avait pas besoin pour nous toucher profondément.
Dans ce huis clos en plein air, les prestations de Karin Viard et d’Alex Lutz sont d’une grande justesse. Certes, les dialogues semblent parfois trop écrits, très joués. Mais à la lumière du final, cela prend tout son sens. On regrette presque ce passage ouvertement théâtral, et un peu moins subtil, où Nathalie sur les planches retrouve goût au jeu… et au je ? Car cet entretien nocturne est pour nos deux personnages, un récit d’apprentissage, un concile philosophique, mais aussi un bilan sur leurs vies qui nous apparaissent comme pas si différentes.

C’est d’ailleurs, au cours de ces entretiens, que les personnages d’Aymeric et de Nathalie évoquent l’idée de disponibilité dans les relations. On pourrait se plaire et même se rencontrer parce qu’au fond de nous, on serait ou on se rendrait disponibles.

C’est évidemment la même chose qui se passe entre un film et ses spectateurs. Notre réception de l'œuvre dépendra de notre état d’esprit au moment de le découvrir. Et si le film d’Alex Lutz est loin d’être parfait, qu'il regorge ici ou là de défauts, il n’en reste pas moins une expérience filmique sensible, un voyage d’une nuit dans lequel il est agréable de se lover. 

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