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Vous n'aurez pas ma haine de Kilian Riedhof

Publié le 15/11/2022 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Le poids des mots…

Paris, novembre 2015. Un soir, Hélène (Camélia Jordana) et Antoine (Pierre Deladonchamps), parents d’un petit Melvil de 3 ans, veulent faire l’amour, mais sont interrompus par un ami d’Hélène (Arieh Worthalter) qui vient la chercher pour aller à un concert. Antoine reste à la maison pour garder le bambin. Hélène ne rentrera jamais. Elle est l’une des 130 personnes assassinées par des terroristes islamistes au Bataclan.

Vous n'aurez pas ma haine de Kilian Riedhof

Quelques jours durant, Antoine, entouré de ses proches et de ceux de la défunte, perd pied, son incompréhension face aux atrocités et à la mort d’Hélène exacerbée par les pleurs et les questionnements incessants de son petit garçon, qui ne comprend pas qu’il ne reverra jamais sa maman. Pour se calmer, Antoine, écrivain sans succès, s’installe devant son ordinateur et écrit. Dans un post poignant publié sur Facebook, en forme de lettre ouverte adressée aux terroristes, il leur dit comment il compte résister à la haine, inspiré par son amour pour cet « être exceptionnel », qui n’était que joie et douceur. Quant à son fils, « toute sa vie, ce petit garçon vous fera l’affront d’être libre et heureux », car « répondre à la haine par la colère ne serait rien d’autre que de l’ignorance »…

Son essai, intitulé Vous n’aurez pas ma haine, est partagé plus de 20 000 fois et repris par les médias du monde entier. Antoine devient en quelques jours une quasi-célébrité, invité sur les plateaux de télévision. Des milliers de personnes le remercient. Mais après l’agitation, il lui faut commencer son processus de deuil. Une fois livré à lui-même, dévasté par le chagrin et impuissant face à la détresse de son fils, il se rend compte que ces mots qu’il a écrits risquent d’être difficiles à respecter. Que faire son deuil en couverture du Monde et dans un appartement en désordre sont deux choses différentes.

Adaptation du drame d’Antoine Leiris, qu’il a transformé en roman en 2016, Vous n’aurez pas ma haine prend le contrepied du récent Novembre, de Cédric Jimenez, qui raconte, à la manière d’un film d’action à l’américaine, la chasse à l’homme qui a suivi les attentats. L’Allemand Kilian Riedhof (dont c’est le second film après la comédie Sa dernière course en 2013) préfère se concentrer sur le quotidien de la famille d’une victime avec un drame psychologique qui tente, tant bien que mal, de trouver un peu de lumière au milieu des ténèbres. Décrivant de manière factuelle le quotidien d’Antoine et Melvil dans les jours et semaines qui ont suivi le drame, son film est une succession de gestes et de moments anodins qui deviennent autant de micro-tragédies : l’identification du corps des jours après les faits, le retour de Melvil à la crèche et la sollicitude exaspérante des mamans envers Antoine, les tensions avec une famille (sa sœur, sa belle-sœur, sa belle-mère) qui observe ses moindres faits et gestes, l’organisation des funérailles avec le choix - tellement insignifiant - du cercueil et de la robe… Des chapitres qu’Antoine traverse tel un spectre.

Si le film ne nous épargne pas certains clichés (les visions angéliques de la défunte, Antoine qui écoute en boucle les messages vocaux d’Hélène) ainsi que le piège du moralisme et du sentimentalisme, il fait d’Antoine un personnage suffisamment ambigu pour être intéressant à l’écran : pas forcément attachant, ce père dépassé par les évènements, qui souffre du syndrome de l’imposteur, laisse parfois sa vanité et sa colère prendre le dessus. Malgré certaines maladresses, le film fait le portrait très juste d’un homme imparfait, subitement obligé de grandir et de réinventer sa vie en restant fidèle aux beaux principes qu’il s’est imposés plutôt que de se laisser bouffer par une haine que d’autres trouveraient libératrice. C’est l’histoire admirable d’un défi, d’une abnégation et d’une reconstruction.

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